C’est un serpent de mer qui a jailli au détour d’une phrase délibérément peu explicite. On le doit à Emmanuel Macron, visiblement amateur de vieilles lunes. Le 12 mai, dans un entretien à Tf1, le président de la République avance le projet d’une remise à plat du financement du modèle social français. En « allant chercher de l’argent en dehors du seul travail », notamment par le biais de « la consommation ». Entendez : en réinstaurant la « Tva sociale », destinée à compenser la baisse des recettes issues des cotisations (a priori) patronales.
Associer le terme « social » à l’impôt le plus injuste (la Tva) relève de l’imposture, soulignent de nombreux titres. Si Emmanuel Macron, d’ailleurs, est resté dans le vague, c’est parce qu’il « est bien conscient de la charge négative qu’aurait une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée dans l’opinion », soutient Jean-Christophe Féraud dans Libération. Il argumente : « Elle n’a de “sociale” que le nom, ce serait plutôt tout le contraire. Mais pourquoi ses partisans se priveraient-ils de ressortir cet oxymore trompeur à l’heure de la post-vérité trumpienne ? Initiée en France par Nicolas Sarkozy mais abrogée par la gauche dès l’élection de François Hollande en 2012, la “Tva sociale” est de retour à l’initiative d’un Emmanuel Macron en panne sèche de promesses politiques… mais jamais avare d’un cadeau fait au patronat. »
« Comme une chanson des Village People »
En Une du Figaro le 30 mai, la proposition fait l’objet de la question du jour. Êtes-vous favorables à la Tva sociale pour redresser les comptes publics ? Sans surprise, une majorité (54 %) répond par la négative. Dans Le Parisien, François Lenglet évoque une « une fausse piste », même si « faute de frein aux dépenses, la protection sociale dévore une part croissante de nos ressources ». Peut-elle pour autant sauver la Sécu ? Sur France Inter, le débat oppose l’éditorialiste Dominique Seux à l’économiste Thomas Porcher. Le premier y voit une porte d’entrée nouvelle, par rapport aux polémiques passées : « La nouveauté est que la “Tva sociale” est aujourd’hui convoquée non pour boucher “le trou” de la Sécu ou alléger le coût du travail pour les employeurs, mais pour augmenter le salaire net des salariés ». Le second ironise : « Chaque année, la question de la baisse des cotisations patronales revient comme une chanson des Village People que l’on passe aux soirées… En réalité cela procède d’une orientation politique très claire » qui évite notamment de parler de la taxation des plus riches.
Politis, qui se demande s’il s’agit d’un ballon d’essai ou d’une réelle proposition, met en garde contre les dangers d’une mesure « inflammable ». Pierre Jequier-Zalc le rappelle : « Il est de notoriété publique que la Tva est l’impôt le plus injuste du pays. En effet, sans progressivité, sa charge repose sur chacun de la même manière. Or, cet impôt constitue déjà près de 38 % des recettes du budget général de l’État. Cela représente – et de loin – la première recette fiscale du pays, loin devant l’impôt sur le revenu (environ 24 %) et l’impôt sur les sociétés (18 %). »
« Parachever le détricotage des conquis de 1945 »
Dans tous les cas, la Tva sociale est « un objet politique radioactif », prévient Le Monde. Elle est surtout un « racket », titre sans ambiguïté L’Humanité qui détaille « les plans du patronat pour détricoter la Sécurité sociale ». Dans son éditorial, Marion D’Allard parle d’« entourloupe antisociale » en prévenant : « À l’heure des célébrations des 80 ans de la création de la Sécurité sociale et alors que la Cgt s’apprête à souffler ses 130 bougies, la Macronie et son gouvernement de droite entendent parachever le détricotage des conquis de 1945, en s’attaquant à ses murs porteurs : le financement de la protection sociale. » La stratégie ? « Affaiblir le système par répartition pour ouvrir grand les portes de la capitalisation », affirme l’éditorialiste.
Dans Le Monde diplomatique de juin 2025, Simon Arambourou enfonce le clou en décryptant les « mythes et mensonges de la capitalisation ». Parmi eux : « les oppositions à la capitalisation sont avant tout idéologiques ». Il conteste : « La capitalisation s’inscrit, en réalité, dans un projet au long cours : la casse de la Sécurité sociale comme instrument de solidarité et de socialisation. »
Au pied de l’Himalaya ?
Comment en est-on arrivé là ? Dans son rapport annuel sur le financement de la Sécurité sociale, publié le 26 mai, la Cour des comptes dresse un tableau alarmant de la situation. L’éditorial du Monde insiste : « Cette dérive continue des comptes sociaux n’est pas acceptable. La France ne traverse ni crise économique ni crise sanitaire. Il n’y a donc aucune raison pour s’accommoder de tels déséquilibres, dont le financement sera assumé par les générations futures. Désormais pèse le risque que les prestations sociales ne puissent plus être garanties. Attendre que cette menace se concrétise serait totalement irresponsable. »
Dans Les Échos, Solenn Poullennec n’hésite pas à parler de l’« Himalaya budgétaire » au pied duquel se trouve le gouvernement. Comme si la protection sociale était devenue « infinançable ». Ce que conteste Alternatives économiques, qui propose de poser le débat autrement, en partant des besoins sociaux qui, dans tous les cas, vont augmenter dans les années qui viennent. « Les leviers d’action sont de trois ordres : agir sur les dépenses, sur les recettes et sur la croissance », détaille Céline Mouzon. Pour sa part, Politis se félicite d’avoir trouvé de l’« argent magique » en recensant cinq mesures qui permettraient de dégager plus de 50 milliards d’euros par an. Parmi elles ? Appliquer la taxe Zucman (20 milliards d’euros) qui instaure un impôt plancher sur le patrimoine des plus riches. Magique, vraiment ?