La peur dans la forêt

Des enfants et adolescents tentant d’échapper à une secte cachée dans la montagne ; une famille épouvantée dans un chalet perdu dans les bois… Avec ses deux premiers romans, Vera Buck emmène le polar aux confins du fantastique.

Publié le : 10 · 10 · 2025

Mis à jour le : 13 · 10 · 2025

Temps de lecture : 4 min

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Jakobsleiter est un hameau reculé, accroché à la montagne et cerné par la forêt. Il abrite une communauté sous la coupe d’un gourou. Un lieu hors du temps, où l’électricité et l’eau courante sont bannies. Ils ne sont que quelques-uns, enfants et ados, à se rendre à Almenen, le village d’en-bas. Parce qu’il y a l’école. Et, principe de réalité, ces petites mains remontent aussi des provisions pour la survie du groupe. 

Pas crédules, leurs yeux sont prompts à décrypter que le monde extérieur n’est pas source de mal, comme le proclame leur mage. La révolte couve… Rebekka est une de ces rebelles juvéniles, qui, du haut tempétueux de ses 16 ans, étouffe dans son quotidien cloisonné… Un jour, on ne la revoit plus. Ressurgissent les fantômes de toutes ces femmes, elles aussi inexplicablement disparues…

Apprendre à penser comme un rat

Les Enfants loups. Par ce titre intriguant, Vera Buck, autrice originaire de la Ruhr, a fait en 2024 une irruption onirique dans le paysage de la littérature policière. Sa narration chorale, à travers six points de vue croisés, nous a ensorcelés… Édith, 9 ans, enfant sauvage, enivrée par les cimes, murée dans son silence, mais l’esprit affûté ; Jesse, ado ténébreux qui a apprivoisé le redoutable canis lupus ; Laura, l’instit accro à ses valeurs, qui voudrait tant repeindre le monde ; Smilla, la journaliste abîmée, avide de vérités, qui plie sous le poids de ses blessures intimes ; Isaiah, le prêtre inquiétant… Et Rebekka, la victime, qui doit apprendre à penser comme un rat… Au cœur de la nature, tout à la fois refuge et piège, un tueur en série rôde-t-il ? Ou bien tout ceci est-il l’œuvre du loup Freigeist ?

Périple angoissant, aux intonations gothiques, Les Enfants loups déploie une subtile palette d’émotions. Si la violence guette, et ne surgit jamais là où on l’attend, l’autrice sait aussi faire parler les silences et les regards. Elle interroge l’enfance, à l’innocence déjà perdue, notre rapport à la nature. Et nos ténèbres intérieures…

« Ils cherchaient l’idylle, ils trouvèrent un cauchemar »

Vera Buck revient en 2025 en librairie avec La Cabane dans les arbres, où elle affine les contours de son univers. « Ils cherchaient l’idylle, ils trouvèrent un cauchemar », prévient la romancière en exergue de son récit.

Cap sur le Västernorrland suédois. Nora, Henrik et leur petit Flynn, âgé de 5 ans, investissent, pour leurs vacances, un chalet ayant appartenu au grand-père d’Henrik, situé au bord d’un lac et d’une forêt… Henrik écrit des livres pour la jeunesse. Déconnecté du réel, il ne vit que pour et par son refuge dans l’imaginaire. Nora est ingénieure et le pilier pragmatique du couple. Un pilier fragile, miné par ses doutes et ses angoisses. D’emblée, l’atmosphère de la vieille bâtisse, faite de bois rouge et lourde de secrets, l’oppresse. Tandis que son malaise s’épaissit, des lambeaux de souvenirs et des visions malsaines assaillent l’esprit faible d’Henrik. Le petit Flynn, lui, affirme avoir vu une sorcière par la fenêtre…

Non loin de là, Rosa, botaniste judiciaire – « J’ai toujours aimé la compagnie des cadavres », se présente-t-elle – se livre à sa tâche favorite : l’étude de la transformation des végétaux, afin de détecter des signes d’enfouissement de corps en décomposition, ceux de personnes volatilisées dans la forêt. Ce jour-là, elle déterre le squelette d’un enfant… C’est alors que Flynn disparaît…

Narration chorale, presque hypnotique

Il est tentant d’analyser les points communs, flagrants, entre les deux romans. On cerne mieux ainsi les préoccupations de l’autrice, la manière dont elle affermit son propos.

Il y a d’abord l’évidence de la nature, miroir de l’âme humaine. La flagrance de la forêt, personnage à part entière, tantôt accueillante, tantôt hostile, hantée par des créatures de légende — sur La Cabane dans les arbres plane aussi l’ombre du loup Fenrir, figure de la mythologie nordique. 

Il y a la même narration chorale, presque hypnotique, où alternent, en courts chapitres, les différentes voix des protagonistes. Dans le deuxième opus, c’est une fluide polyphonie d’Henrik, de Nora, de Rosa. Et de Marla, dont on appréhende peu à peu le calvaire, captive depuis son plus jeune âge dans la cabane éponyme… Les enfants et leurs traumatismes sont une autre constante de l’œuvre de Vera Buck.

Si les ficelles du roman horrifique sont parfaitement tressées, La Cabane dans les arbres frappe surtout par sa justesse psychologique. La disparition de Flynn agit tel un catalyseur sur le couple Henrik-Nora, contraint d’affronter ses faux-fuyants. Et les méandres du passé le disputent aux secrets de famille… Entre cauchemar et réalité, entre le noir et la lumière, les écrits de Vera Buck captent le moment fugitif où l’équilibre des êtres vacille.

  • Vera Buck, Les Enfants loups, Gallmeister, 2024, 480 pages, 24,90 euros. Réédité en poche chez Gallmeister Totem, 12,50 euros
  • La Cabane dans les arbres, Gallmeister, 2025, 465 pages, 24,90 euros.
Serge Breton

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