En 1997, au Grand-Palais, c’était l’exposition quasi exhaustive de l’œuvre peint de Georges de la Tour (1593-1652). Ces temps-ci, avec une vingtaine de ses toiles majeures, entourées d’autres de certains de ses contemporains, c’est au musée Jacquemart-André l’occasion offerte, au cours de l’exposition « Georges de la Tour, entre ombre et lumière », de vérifier ce qu’a dit l’écrivain Pascal Quignard, pour qui ce peintre « fit de la nuit son royaume ».
Renommé de son vivant puis tombé dans l’oubli
C’est grâce aux recherches assidues d’historiens de l’art, depuis les années 1920, que la peinture de Georges de la Tour, renommé de son vivant puis tombé dans l’oubli, a pu être mise au plus haut. On a relativement peu d’éléments sur sa biographie, sinon que, né dans le bourg de Vic-sur-Seille (Moselle), il fit un beau mariage qui lui permit d’approcher la cour du duché de Lorraine. Le couple eut dix enfants. On ignore le détail de ses années de formation, mais on sait qu’en 1605, un tableau de Caravage (1571-1610), L’Annonciation, fut installé sur le maître-autel de la collégiale Saint-Georges à Nancy.
Or ce que l’on nomme le caravagisme a constitué une véritable révolution dans la peinture européenne. C’est à la suite de Caravage que de nombreux artistes adoptèrent de nouveaux critères de représentation, basés sur le naturalisme. C’est-à-dire que le peintre s’écarte des règles du tableau officiel ou de commande et s’attache à des figures grandeur nature, sous une lumière incidente qui valorise le clair-obscur. Les thèmes récurrents, en la matière, sont des scènes de taverne, des figures populaires de musiciens de rue, des diseuses de bonne aventure… La toile la plus fameuse de La Tour n’est-elle pas, justement, La Diseuse de bonne aventure accrochée au Metropolitan Museum de New York ?
Un génie tout à la fois poétique et prosaïque
L’œuvre phare de l’exposition, la plus caractéristique sans doute de l’art de La Tour, c’est Le Nouveau-né. Deux femmes : l’une au visage penché sur un bébé dans ses bras ; l’autre de profil. S’agit-il de femmes ordinaires ou de sainte Anne et de la Vierge Marie veillant sur l’Enfant Jésus ? L’admirable est dans la suggestion raffinée qu’offre la scène, la lumière tombant sur l’enfant, les figures graves des femmes apparaissant comme surgies des ténèbres. Suave simplicité ! La peinture religieuse de La Tour, avec ses saints et ses apôtres humains, trop humains, témoigne d’un génie tout à la fois poétique et prosaïque.
Les scènes de genre de Georges de la Tour mettent en scène en toute dignité méditative des êtres humains de tous les jours ancrés dans son époque. Il en est ainsi de ses portraits familiers de hautes figures religieuses ou de gens du peuple, sous le signe d’une vérité méditative. Son usage infiniment maîtrisé du clair-obscur convoque irrésistiblement la réflexion du philosophe Gaston Bachelard. Dans un essai paru en 1961, ne disait-il pas que la flamme d’une chandelle est, parmi les objets du monde qui appellent la rêverie, un « des plus grands opérateurs d’images » ?
- Jusqu’au 25 janvier 2026, au musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussmann, Paris 8e.