Déclarée « année des professions techniciennes et intermédiaires » par l’Ugict-Cgt, 2024 avait mis en lumière le déclassement salarial de cette catégorie, désormais première au sein du salariat français, puisqu’elle en pèse plus d’un quart. La dernière édition du Baromètre commandé à Viavoice par l’Ugict en partenariat avec le cabinet Secafi, le confirme : le salaire est la priorité de ces salariés. C’est la préoccupation principale de 74 % de répondants, soit 2 points de plus que dans le dernier Baromètre.
Entre 1996 et 2021, le salaire moyen dans les professions intermédiaires et techniciennes a en effet moins progressé que celui dans les autres catégories socioprofessionnelles. Parmi les personnes interrogées, 51 % estiment que leur rémunération n’est pas en adéquation avec leur qualification, et ce chiffre atteint 70 % dans la santé et l’action sociale. Cette frustration n’a pas rencontré de réponse alors que, cette année, les négociations salariales dans les entreprises ont été désastreuses. « Les professions intermédiaires, comme les cadres, sont renvoyées à des augmentations individuelles », constate Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l’Ugict-Cgt.
On observe des différences significatives entre les hommes et les femmes d’une part – 60 % de ces dernières s’estiment sous-payées –, et d’autre part entre les secteurs – l’insatisfaction salariale atteint ainsi 64 % dans la santé et le travail social.
Pour Cyril Dallois, secrétaire national de l’Ugict-Cgt, c’est cette catégorie-là, « qualifiée, à responsabilités », qui a vu sa rémunération connaitre le plus fort recul relatif dans la valeur ajoutée.
Temps de travail : toujours plus avec le forfait-jours
Côté temps de travail, la situation est également dégradée. Près de 44 % des professions intermédiaires déclarent travailler plus de quarante heures par semaine, et 8 % plus de quarante-cinq heures. L’Ugict-Cgt pointe du doigt l’utilisation du forfait-jours. Un forfait qui masque le temps de travail réel et contribue à en augmenter l’intensité. « On sent qu’il y a une offensive un peu plus poussée, notamment à l’occasion des négociations sur la convention collective Syntec. Le seuil d’application des dispositions du forfait-jours a été abaissé et, depuis cette négociation, c’est applicable aux professions intermédiaires », explique Cyril Dallois.
Un travail plus long et généralement sans contrepartie : 47 % des répondants indiquent faire des heures supplémentaires qui, pour 25 %, ne sont ni rémunérées ni récupérées. La fonction publique hospitalière est la plus touchée : 70 % des professions intermédiaires déclarent y réaliser des heures supplémentaires. Une situation bien identifiée par l’enquête de l’Ufmict-Cgt sur la profession infirmière. À noter : la « génération Z » (née dans les années 2000) semble installer un nouveau rapport au travail, avec une plus grande proportion de jeunes déclarant travailler moins de trente-neuf heures par semaine.
Management toxique et déficits d’anticipation
Si le salaire est en tête des revendications, le mal-être au travail n’a pas disparu. Dans cette édition 2025, 42 % des répondants constatent des pratiques managériales détériorées, soit deux points de plus que les années précédentes. Près de la moitié (47 %) estiment avoir des responsabilités plus lourdes. Environ 35 % déplorent ne pas avoir les moyens de fournir un travail de qualité, et 53 % considèrent que leur charge de travail a augmenté, soit des taux analogues aux années précédentes. Ils sont également 62 % à ressentir une contradiction entre leur éthique professionnelle et les choix et pratiques de leur entreprise. D’ailleurs 57 % souhaiteraient disposer d’un droit d’alerte sur ce point. Un chiffre qui renoue avec les points hauts d’il y a six ans sur ce sujet.
Le contenu et le sens du travail arrivent ainsi en troisième position dans les priorités professionnelles des professions intermédiaires et techniciennes. Un mal-être lié aux réorganisations, aux plans de suppression d’emplois et à un « sentiment d’insécurité croissant », décrypte Cyril Dallois.
Sur les défis à venir, et notamment climatique – le plus cité –, presque 6 répondants sur 10 considèrent que leur employeur n’est pas à la hauteur. Et pour ceux dont l’employeur aurait effectivement anticipé un des défis énumérés (climat, hausse des conflits armés, défi démographique ou développement de l’IA), ils sont 62 % à déplorer ne pas avoir été consultés sur la manière d’y répondre sur le lieu de travail.
Face à l’intelligence artificielle ou au racisme
La moitié des professions intermédiaires constatent une intensification du travail directement en lien avec les outils technologiques. C’est « une des principales sources de modification de leur travail au quotidien », pointe Agathe Le Berder. Près de 43 % des répondants constatent un débordement de leur vie professionnelle sur leur vie privée, et plus des deux tiers aspirent à un droit à la déconnexion effectif.
Ils dénoncent aussi des formations trop légères sur les outils d’intelligence artificielle déployés dans leur entreprise : 65 % n’en ont eu aucune, et 52 % ont le sentiment d’être surveillés avec ces nouveaux outils. Enfin, plus de la moitié des professions intermédiaires considèrent que l’IA ne pourra pas les aider à prendre des décisions. Leurs trois principales préoccupations à propos de l’IA sont la protection des données, la protection de l’emploi et la formation aux outils.
Sur le racisme, le sondage révèle une exposition des professions intermédiaires plus forte que celle des cadres, sondés l’an dernier. Les insultes racistes sont particulièrement fréquentes, et un nombre significatif de personnes interrogées déclarent ne pas avoir été informées par leur employeur des droits et recours en cas d’agression. « Ce qui est très grave, c’est que le deuxième acte raciste qui revient le plus dans les professions intermédiaires, ce sont les insultes, précise Cyril Dallois. Il faut agir en urgence dans ces cadres professionnels. »
Les travailleurs de cette catégorie sont 38 % à affirmer avoir été témoins ou victimes de blagues racistes. Et 29 % à avoir été témoins et/ou victimes d’insultes – contre 20 % chez les cadres. Plus d’un quart ont aussi été témoins ou victimes de discrimination de la part d’usagers ou de prestataires. « Ces professions sont en rapport avec le public, explique la secrétaire générale adjointe de l’Ugict-Cgt, Agathe Le Berder. Ce sont des métiers du soin, du lien, exposés à des usagers, à des clients qui peuvent être violents. » Mais face à cette situation, les salariés sont démunis.
Une très forte majorité (61 %) n’a reçu aucune information de leur employeur sur ses droits ou recours dans ces situations, et 29 % affirment que leur employeur n’agit pas pour réduire l’expression du racisme sur le lieu de travail. Un état des lieux inquiétant face auquel l’Ugict-Cgt fait circuler un modèle de lettre pour enjoindre l’employeur à agir. Ce courrier a déjà servi dans plusieurs entreprises.
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