Comme chaque année, l’Ugict-Cgt a commandé une enquête pour son baromètre des opinions et des attentes des cadres, en partenariat avec Secafi ; un millier de personnes ont été interrogées sur huit thématiques. Ce qui ressort particulièrement de cette édition 2025, c’est la question des rémunérations : pour 65 % des sondés, le salaire est la priorité dans leur travail. Une réalité qui s’affirme d’année en année, puisqu’au terme d’une progression régulière, c’est 12 points de plus que dans l’enquête de 2018.
Ce résultat fait écho à l’enquête concernant les professions intermédiaires pour lesquelles la rémunération est devenue la priorité, devant l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle. Pour l’Ugict-Cgt, cette appréciation n’a rien d’étonnant quand on sait que les négociations annuelles obligatoires de 2025 ont été plus décevantes que celles des années précédentes.
Les femmes ressentent davantage le décalage
Pour la moitié des cadres, les salaires sont en inadéquation tant avec la charge de travail (51 %, +4 points depuis 2023) qu’avec l’implication (49 %) et le temps de travail réel (48 %). Voilà pour le bilan côté pile. Côté face, sur l’adéquation de la rémunération, l’enquête révèle une différence d’appréciation conséquente entre les femmes et les hommes.
Quand les hommes estiment que leur salaire correspond à leur implication (à 53 %) ou à leur charge de travail (52%), seules 42 % des femmes ont cette opinion pour l’implication et 40 % d’entre elles pour la charge de travail. On observe un ressenti analogue parmi les cadres de la fonction publique, en particulier dans l’enseignement et dans le secteur sanitaire et social.
Le forfait-jours pointé du doigt
Premier paramètre en cause : la charge de travail. « Elle apparaît à nouveau comme un point de vigilance, dont la cause est à chercher du côté des forfaits-jours sans référence horaire, commente Caroline Blanchot, secrétaire générale de l’Ugict-Cgt. Près de six cadres sur dix trouvent que leur charge de travail a augmenté depuis l’année dernière. C’est 3 points de plus en un an ! »
Instauré en 2000 par la loi Aubry 2, le forfait-jours est au cœur du problème d’autant que, selon une étude de 2024 de l’Apec, il concerne 55 % des cadres du privé, un pourcentage en progression d’année en année. Effet dans le baromètre des cadres de l’Ugict-Cgt, 59 % des sondés estiment que leur charge de travail a augmenté (+ 3 points en un an) et 77 % déclarent travailler pendant leurs jours de repos, en particulier les cadres encadrant·es (84 %), tout comme les professeur·es et les scientifiques.
Confrontée à cette situation, l’Ugict-Cgt revendique un encadrement du forfait-jours avec un décompte sérieux du temps de travail et un respect des durées maximales du travail.
Frontière ténue entre vies privée et professionnelle
Sept cadres sur dix placent l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle en tête de leurs priorités. C’est évidemment le télétravail qui conditionne largement cet équilibre. D’où la veille de l’Ugict-Cgt via son Observatoire du télétravail, l’importance des accords d’entreprise sur le sujet et la vigilance à l’égard des grosses entreprises – Amazon, Ubisoft, Société générale… – qui ont récemment remis en cause leurs accords.
« Les cadres considèrent que les pratiques du télétravail sont insuffisamment encadrées, expose Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l’Ugict-Cgt et coanimatrice du pôle cadres. Et ils ont raison. C’est la raison pour laquelle nous portons, notamment au plan européen, avec Eurocadres et la Confédération européenne des syndicats, la nécessité d’aboutir à deux directives ambitieuses sur l’encadrement du télétravail et sur le droit à la déconnexion. »
Travailler avec une conscience
Les cadres s’interrogent également sur le sens du travail, et en premier lieu sur leur capacité à intervenir sur la marche de leur entreprise. Près de sept cadres sur dix (67 %) ne se sentent pas associé·es aux choix stratégiques de leurs directions. Pis, huit sur dix (84 %) considèrent que leur éthique professionnelle entre en contradiction avec les choix ou les pratiques de leurs employeurs, qu’ils soient publics ou privés.
Pour 51 % des cadres, les employeurs ne semblent pas anticiper les défis de l’avenir, qu’il s’agisse du climat, des technologies, des conflits armés, de la démographie ou des atteintes à l’État de droit. Et 60 % déclarent ne pas avoir été consultés pour réfléchir aux réponses à ces défis, qui impacteront pourtant leur travail dans le futur.
Ce déchirement entre valeurs et pratiques est perceptible en premier lieu dans les secteurs de la santé et du social ainsi que dans les secteurs impactés par la guerre à Gaza : « Les enjeux éthiques et les conflits de valeurs alimentent les risques socio-organisationnels et ont un impact pour la santé, notamment mentale, au travail », rappelle Agathe Le Berder en illustrant ses propos par l’appel de la Cgt au droit de retrait chez l’industriel de l’armement Thales, ou par l’action des dockers qui ont bloqué, en juin, à Fos-sur-Mer, du matériel militaire destiné à Israël.
Des dispositions à se mobiliser
L’essor des outils d’intelligence artificielle (IA), utilisés par 42 % des cadres dans leur travail percute aussi l’opinion et les attentes des cadres. « Les cadres sont très partagés, remarque Caroline Blanchot. Si 48 % estiment que le déploiement de l’IA dans le monde professionnel est davantage une avancée qu’un recul, 31 % ne se prononcent pas. Dit autrement : un tiers attendent encore de voir les effets. »
Dans ce contexte, la réforme des retraites de 2023 ne passe toujours pas : 69 % des cadres interrogés la rejettent. « Sur ce dossier, le thème de la pénibilité, sur lequel s’est fracassé le conclave, est pour nous un sujet central, précise Agathe Le Berder. Sauf exception, nos catégories socioprofessionnelles ne sont pas couvertes par les dispositifs de reconnaissance de la pénibilité. Or un quart des sondés considèrent que leur travail est pénible, en lien avec la charge mentale, l’intensification du travail, l’épuisement professionnel et l’essor du temps de travail à rallonge. » Pour défendre le modèle social français, 68 % des cadres se disent prêt·es à se mobiliser et plus d’un tiers s’engageraient dans une grève. Affaire à suivre.