Pas de suppression du télétravail. L’édition 2025 de l’enquête nationale de l’Observatoire du télétravail, lancé en 2022 par l’Ugict-CGT, montre que le travail à distance fait désormais partie des habitudes en France. Près de 77 % des répondantes et répondants confirment que le télétravail n’a pas été supprimé dans leur entreprise ou administration. « L’un des objectifs de l’enquête était d’identifier si le retour au travail sur site était une réalité en France. Les réponses à l’enquête révèlent que la suppression du télétravail est marginale et que l’alternance entre travail sur site et présence à domicile reste une pratique bien installée dans les entreprises et administrations », commente Emmanuelle Lavignac, membre de la direction de l’Ugict-CGT et responsable de l’Observatoire. Menée entre mars et août 2025, cette enquête a pris la forme d’un questionnaire en ligne. Les réponses de 5 336 salarié·es qui déclarent télétravailler ont ensuite été analysées.
La volonté d’entreprises comme Ubisoft ou la Société générale de voir leurs salarié·es revenir au bureau a pu laisser penser que s’amorçait un retour au travail obligatoire. Le premier intérêt de cette étude est de révéler que ces exemples restent relativement isolés. Quand les répondantes et répondants observent une « volonté de restriction », celle-ci prend différentes formes : 7 % affirment que le télétravail a été supprimé dans certains services, 31 % expliquent que leur employeur ou employeuse encourage le retour au bureau de manière informelle.
Un plébiscite pour le temps gagné
Comme lors de l’édition 2023 du baromètre, les répondant·es télétravaillent en moyenne deux jours par semaine. Environ 73 % disent « très bien vivre leur situation de télétravail ». Plus d’un·e sur deux aimerait d’ailleurs télétravailler davantage. Un chiffre « peu surprenant » puisque le télétravail permet à 56 % d’entre elles et eux d’économiser plus d’une heure de trajet aller-retour quotidien, un temps « qui n’est pas rémunéré et fatiguant », rappelle Emmanuelle Lavignac.
Ce temps gagné est consacré à la famille (61 %), au repos (56 %)… et au travail (43 %). Pour 77 %, le télétravail permet de trouver un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
Santé : un effet plutôt positif
Le télétravail a-t-il un effet sur la santé des travailleuses et travailleurs ? « Soit le télétravail n’a pas d’effet, soit il a des effets positifs », résume Émilie Vayre, professeure de psychologie du travail et des organisations à l’université Lumière-Lyon-II, membre du pôle psychologie sociale de l’Inserm et du comité scientifique de l’Observatoire du télétravail.
Environ trois salarié·es sur dix disent souffrir de moins de maux de têtes, de gênes oculaires et de douleurs musculo-squelettiques qu’avant. Pour six sur dix cependant, le ressenti est le même qu’avant. Près de 75 % déclarent un niveau de fatigue moins élevé en télétravail. Et 45 % ressentent moins d’états d’anxiété ou de dépression, contre seulement 5 % qui disent en subir davantage.
Flex-office et open-space : « urticant »
Très attaché·es au télétravail, plus de la moitié des salarié·es déclarent qu’ils et elles seraient prêtes à démissionner si leur employeur·ou employeuse décidait de le supprimer. Parmi elles et eux, les moins de 30 ans sont particulièrement nombreuses et nombreux (22 %).
Les salarié·es sont d’autant plus hostiles à un retour à plein temps au bureau que leurs espaces de travail ont bien souvent été réorganisés. Avec le flex-office, plus de bureau attitré. Chacune et chacun doit trouver un bureau libre. Ainsi, quand la Société générale a diminué le nombre de jours télétravaillés, les salarié·es ont monté l’opération « Tous sur site ! » pour prouver que si tout le monde revenait en même temps, il n’y aurait pas assez de bureaux.
Dans les entreprises où la mise en place du télétravail s’est accompagnée d’une réorganisation des espaces de travail sur site, cela s’est principalement traduit par du flex-office (dans 48 % des cas), par de l’open-space (41 %) ou par un déménagement (36 %). Plus de deux salarié·es sur trois déclarent ne pas avoir été consulté·es au sujet de cette réorganisation. Dans ces conditions, un retour au travail est vécu comme particulièrement « urticant », décrit Emmanuelle Lavignac.

Cette dégradation des conditions au bureau explique en partie le plébiscite du télétravail… même si les répondantes et répondants identifient parfaitement sa face sombre : la difficile déconnexion. Près de 46 % déclarent que leur temps de travail est plus élevé lorsqu’ils et elles travaillent à distance. Et 76 % indiquent avoir déjà télétravaillé tout en étant malades.
Quand un contrôle est mis en place par l’entreprise, « il ne s’agit pas d’un contrôle destiné à veiller à la bonne déconnexion mais bien d’un contrôle à vocation de sanction », observe Caroline Diard, professeure associée chez TBS Éducation et membre du comité scientifique. Dans 8 cas sur 10, les salarié·es ne sont d’ailleurs pas informé·es de la mise en place de tels outils. Caroline Diard alerte sur les usages qui peuvent en être faits : « La récente jurisprudence des prud’hommes et de la Cnil nous montre que la surveillance mise en place à l’insu des salarié·es peut désormais être utilisée comme preuve. »
Des managers sous tension faute de formation
Bien que le télétravail soit entré dans les mœurs, la formation des encadrantes et encadrants au management à distance ne semble toujours pas être une priorité des entreprises et des administrations. Les trois quarts n’ont pas été formé·es. Leur état de santé est moins bon que celui des autres télétravailleuses et télétravailleurs : davantage de tension ressentie, un manque de sommeil lié au travail qui s’accentue.
Si les managers considèrent que le télétravail n’a pas d’incidence sur la charge de travail de l’équipe, ils et elles s’inquiètent en revanche de l’ambiance de travail. Environ 43 % considèrent que le télétravail rend le management de leur équipe plus complexe. Et 33 % estiment ne pas être en mesure de détecter des situations de mal-être dans leur équipe. « En l’absence d’un encadrement assumé par les entreprises, ces manageurs et manageuses ont l’énorme responsabilité de faire appliquer un télétravail peu ou mal encadré. Les directions affirment que tout se passe très bien. Notre enquête montre au contraire que les manageurs et manageuses ne le vivent pas très bien », commente Emmanuelle Lavignac
Nayla Glaise, membre de l’Ugict-CGT et présidente d’Eurocadres, qui regroupe les syndicats de cadres au niveau européen, déplore l’attitude du patronat européen qui avait, en 2023, quitté la table des négociations sur le télétravail et le droit à la déconnexion. « Pour lui, il n’y a pas besoin de légiférer. Il suffirait de distribuer aux salarié·es des guides pratiques sur la gestion du temps. Le patronat n’a toujours pas compris sa responsabilité en matière de santé et sécurité. » Une directive européenne sur le droit à la déconnexion verra-t-elle le jour en 2026 ?
