Qualifications, salaires, retraites : répondre à l’offensive patronale

Depuis des décennies, les organisations patronales veulent s’attaquer aux qualifications, limiter les salaires et réduire les retraites. Pourquoi tant de haine ? Quelles conséquences sur les travailleurs et travailleuses ? Éléments de réponses.

Publié le : 20 · 11 · 2025

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Dans les baromètres de l’Apec, un indicateur ne bouge pas : celui des inégalités de salaire entre les hommes et les femmes.

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« Si on veut caractériser l’offensive patronale, il y a un tronc commun : le partage de la pénurie au sein du salariat », pose Sylvie Durand, secrétaire nationale sortante de l’Ugict et membre du Conseil d’orientation des retraites (Cor). Pour elle, les ingés, cadres, techs, agentes et agents de maîtrise sont soumis à une culpabilisation malsaine sous prétexte qu’ils et elles seraient des « privilégié·es ». « Depuis les années 1980, nous avons perdu, sur la rémunération du travail, 8 à 10 points dans nos économies*. Il faut absolument décomplexer les Ictam et les pousser à exiger des augmentations, car de petits salaires donnent de petites retraites », ajoute-t-elle.

Comment l’expliquer ? Peut-être par une politique salariale du moins-disant. « À la Poste, parfois certains collègues obtenaient le grade, mais devaient attendre trois ans pour avoir le salaire, détaille Cyrille Toledo, secrétaire de l’UFC-FAPT. Si le poste était supprimé dans l’intervalle, il n’y avait pas de rattrapage. »

L’inflation distance les salaires

Au regard du dernier baromètre de l’Apec, les salaires patinent. Malgré que 53 % des cadres ont reçu une augmentation en 2025 – contre 60 % l’année précédente –, cela ne compense pas l’inflation enregistrée depuis 2018. « L’indice des prix a progressé de 16 % et les salaires des cadres de 10 %, explique Gilles Gateau, directeur général de l’Apec. Un delta n’a pas été rattrapé en 2025 et on verra ce que donnent les négociations annuelles obligatoires en 2026. » Traditionnellement, la mobilité sur le marché du travail donne l’occasion aux Ictam d’augmenter leur salaire, mais les tensions actuelles sur le marché du travail compromettent cette possibilité.

Dans ce baromètre, Gilles Gateau souligne qu’un indicateur « désespérant » ne bouge pas : celui des inégalités de salaires entre les hommes et les femmes, un phénomène très marqué chez les cadres. « On sait que ces 16 % de différence s’expliquent en partie par le fait que les hommes travaillent davantage dans des secteurs plus lucratifs que les femmes, mais cela n’explique pas tout, analyse-t-il. Nous calculons depuis des années un écart “inexpliqué” de 6,8 %. il était de 7,1 % en 2019, il y a six ans. À ce rythme-là, il faudrait cent trente ans pour le résorber. Or, cet écart se creuse évidemment au long de la vie active. »

Les retraites, mère de toutes les batailles

Concernant les retraites, Sylvie Durand rappelle que leur dégradation est ininterrompue depuis 1993 avec la diminution du niveau des pensions par rapport au salaire de fin de carrière, le recul d’âge d’ouverture du droit, l’allongement de la durée de cotisation. Cette réalité impacte singulièrement les Ictam. « L’essentiel de nos retraites procède des régimes complémentaires Agirc-Arrco, rappelle-t-elle. Or c’est sur la retraite complémentaire que se sont opérés les reculs les plus drastiques. Dans quarante ans, le niveau moyen de pension d’un cadre sera de l’ordre de 51 % de son salaire de fin de carrière, alors que jusqu’aux années 1990, il de 72 ou 73 %. »

De son côté, l’Apec s’est interrogée sur la façon dont les entreprises ont accompagné l’allongement des carrières des senior·es. C’est un sujet de préoccupation pour les cadres qui subissent trop souvent une discrimination liée à l’âge. Le taux de chômage des cadres est de 4 % en moyenne ; il passe à 6,8% après 55 ans – soit presque la moyenne dans le salariat –, alors qu’elles et ils sont qualifié·es, expérimenté·es, compétent·es, en bonne santé physique pour la plupart. « Ce que montre l’étude, réalisée en mars, est assez inquiétant, rapporte Gilles Gateau. À peu près 20 % des entreprises disent avoir agi, 20 % disent y réfléchir et 60 % répondent ni l’un ni l’autre ! » Il y a un vrai malaise, alors qu’on justifie le recul de l’âge de départ en retraite par la nécessité de maintenir plus longtemps les senior·es dans l’emploi.

Des « processus de déqualification relative »

Jean-Paul Cadet, ingénieur de recherche au Centre d’études et de recherche sur les qualifications (Cereq) rappelle que les professions intermédiaires – dont les techniciennes et techniciens qui sont, depuis 2024, la première catégorie socio-professionnelle du pays – subissent durement le déclassement des qualifications et l’atonie des salaires.

Dans son enquête « Formation employeur », le Cereq remarque une montée en responsabilité, en qualification, et en diplôme… mais sans que le salaire suive. Il note également, avec inquiétude, « des processus de déqualification relative. C’est le cas du chargé de clientèle en banque qui, confronté à une pression commerciale accrue, voit la mise en place d’outils dits d’intelligence artificielle qui le privent de ce qui faisait le sel de sa profession. C’est-à-dire le fait de diagnostiquer des situations de clientèle et de proposer des solutions adaptées. »

Il faut des Ictam dans les NAO

Pour la défense des salaires, Cyrille Toledo encourage chaque militante et militant de l’Ugict à se saisir de ce dossier. « Les Ictam ne sont pas toujours représenté·es dans les NAO de nos entreprises, décortique-t-il. Or nos camarades sont peut-être moins enclins à en parler, et n’ont pas forcément une grande connaissance de nos problématiques et spécificités. » Il invite également chacun à reprendre la revendication de l’échelle mobile des salaires. « Cette mesure n’a qu’un but : éviter le tassement des salaires, le tassement des grilles, puisque aujourd’hui on voit bien que les Ictam se font rattraper par les ouvriers et employés », constate-t-il.

Le directeur général de l’Apec propose une piste de réflexion. Dans une étude sur le lien entre salaire et utilité sociale, il a été frappé par les résultats. « On sait que les métiers du soin, essentiels à la société, sont moins rémunérés que d’autres. Pourtant, les salariés et les cadres qui y travaillent n’expriment pas de façon massive ni majoritaire de sentiment d’injustice, s’étonne-t-il. Est-ce de la résignation ? Une intériorisation ? Un renoncement ? Je ne sais pas. » Après le congrès, l’Ugict-CGT restera très attentive à la transposition, avant l’été 2026, de la directive européenne sur la transparence salariale : un outil précieux pour lutter contre les inégalités. 

  1. Selon l’Insee, la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises était de 65,8 % en 2006 contre 74,2 % en 1982, soit un recul de 8,4 points. Selon la Commission européenne, la part des salaires dans l’ensemble de l’économie est passée de 66,5 % en 1982 à 57,2 % en 2006, soit un recul de 9,3 points.
Amanda Breuer Rivera

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