Salaires, cotisations, retraites : l’extrême droite au secours du patronat

Démontrer l’imposture du RN n’est pas chose aisée tant ses écrits sont rares. Mais l’analyse de ses discours médiatiques et de ses votes permet de placer le parti face à ses contradictions.

Publié le : 13 · 10 · 2025

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La stratégie du RN ? Jouer de l'opposition entre les salarié.es, en déployant un double discours permanent.

IP3 Press/MaxPPP

La campagne éclair contre l’arrivée au pouvoir du RN menée en juin-juillet 2024 a conduit la CGT à déployer un gigantesque effort de mobilisation pour informer les travailleur·ses de tous les secteurs, territoires et catégories socioprofessionnelles du danger que l’extrême droite représente pour le monde du travail.

En appelant à voter pour le programme du Nouveau Front populaire (NFP), la CGT a démontré ce qui distingue ce dernier de celui du RN, alors que le parti d’extrême droite joue à plein l’imposture sociale en reprenant à son compte certaines de nos formules et revendications.

Un domaine particulier révèle son alignement sur les aspirations du capital : il s’agit de sa conception des droits sociaux des travailleur·ses qualifié·es à responsabilité en matière de salaires et de retraites. Champion de la division des travailleur·ses (en fonction de leur origine, religion, nationalité, genre, orientation sexuelle, etc.), le RN ne rate pas une occasion d’appliquer dans ses discours et ses actes la vieille recette patronale de mise en opposition des intérêts des ouvrier·ères et employé·es à ceux des professions intermédiaires et des cadres.

Le RN n’a aucune intention d’augmenter les salaires

La question salariale est devenue la priorité des travailleur·ses ces dernières années. L’urgence sociale est marquée par la hausse continue des prix à la consommation, par l’augmentation du nombre de salarié·es payé·es au niveau du Smic (3 millions en 2023) et par le décrochage du niveau de rémunération des jeunes diplômé·es sur les vingt dernières années.

Dans ce contexte, le RN se présente en défenseur des revendications du monde du travail sur les salaires, tout en déployant une stratégie pro-patronale. Alors qu’il prétend être le parti des « gens qui travaillent tôt », le RN s’est positionné avec constance contre l’une des dernières garanties collectives qui protège les travailleur·es avec les plus bas salaires : le salaire minimum. Au niveau européen le parti a voté contre la directive sur les salaires minimaux en septembre 2022. Deux mois plus tard, à l’Assemblée nationale, il s’est opposé à la proposition de loi LFI-Nupes visant à augmenter le Smic à 1 600 euros net. En juin 2024, Jordan Bardella a enterré toute possibilité de hausse du Smic devant un parterre de patrons du Medef afin de marquer sa différence avec le NFP.

Pour quelles raisons le RN a-t-il refusé de voter la proposition de loi de hausse du Smic ? Les député·es RN ont prétendu défendre les TPE et PME. Selon eux-elles, malgré des mesures de péréquation financées par les entreprises avec un chiffre d’affaires élevé, les TPE et PME « ne [voudraient] pas augmenter leurs salarié.es avec de l’argent des grandes entreprises ».

Puis ils ont dégainé la carte de « la classe moyenne » pour justifier leur refus d’augmenter le Smic. Comment ? D’une part en refusant en son nom la réinstauration de l’impôt sur la fortune (ISF) proposée pour financer les effets de la hausse du Smic sur les organismes de Sécurité sociale. Et d’autre part en jouant les classes populaires, « celles auxquelles on demande tout et [à qui] on ne donne jamais rien », contre les salarié·es payé·es au Smic. La députée RN Laure Lavalette prétendait alors que la hausse du salaire de ces dernier·ères pénaliserait les premier·ères en faisant stagner leur pouvoir d’achat. Mais la stagnation et, en vérité, le recul du niveau de vie des professions intermédiaires et des cadres a peu à voir avec la hausse du Smic et tout avec le refus du patronat de leur accorder des hausses collectives de salaires a minima égales à l’inflation.

Et c’est bien à cela que se sont opposé·es les député·es RN en juillet 2022, en votant contre un amendement LFI-Nupes visant à indexer l’ensemble des salaires – et pas uniquement le Smic – sur l’inflation. À cette date, la hausse des prix dépassait 6 % par rapport à l’année précédente, et dans les entreprises, les ingénieur·es, cadres et technicien·nes étaient renvoyé·es à l’arbitraire de hausses individuelles de salaire, des primes et de l’intéressement. En cela, le RN a choisi de nier les aspirations de 9 de ces salarié·es sur 10 qui soutiennent l’augmentation automatique des salaires en fonction de l’inflation (Baromètre ViaVoice cadres 2023 et Baromètre ViaVoice professions intermédiaires 2023). Le parti d’extrême droite s’est en revanche parfaitement aligné sur la position du Medef qui rejette l’échelle mobile des salaires, qu’il dépeint comme une « négation du dialogue social » et l’outil d’une « économie dirigée »1.

Le 20 juin 2024, devant 700 membres de cette organisation patronale, Jordan Bardella s’est efforcé de « rassurer les milieux économiques » en leur présentant son projet économique et social. La seule mesure salariale du RN que le candidat a brièvement présentée ce jour-là prévoit un montage complexe visant à « donner la liberté [aux employeurs] d’augmenter les salaires » de 10 % en échange d’une suppression des cotisations patronales pendant cinq ans jusqu’à 3 fois le Smic.

Une telle mesure satisfait le patronat à deux égards : elle lui laisse la bride sur le cou en matière salariale, tout en dégradant la situation de la Sécurité sociale, mais aussi celle des comptes publics pourtant dénoncée par le RN comme catastrophique.

Or si les dépenses publiques se sont dégradées en France c’est bien sous l’effet des nombreux cadeaux faits aux entreprises par l’État. Ils ont en effet représenté 211 milliards d’euros en 2023. Parmi ces cadeaux, la perte de recettes induite par les exonérations de cotisations sociales représentait en 20242 plus de 80 milliards d’euros manquant sur le budget de la Sécurité sociale. Quant au montant de nos impôts consacré à la compensation de ces sommes pharaoniques, il est supérieur à celui du budget de l’Éducation nationale.

Cette proposition de réforme salariale, aussi inepte que dangereuse, est la démonstration du souhait du RN de dégrader notre système de protection sociale assis sur la cotisation solidaire entre salarié·es, actifs et retraité·es.

L’extrême droite n’a que faire du financement de la Sécurité sociale

L’imposture du RN à ce sujet s’est à nouveau révélée lors du débat sur sa proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites de 2023. La CGT a toujours défendu la nécessité de dégager de nouvelles recettes pour financer l’abrogation de la réforme des retraites et le retour à la retraite à 60 ans. Nos propositions pour trouver 40 milliards d’euros et annuler la réforme de 2023 ont été présentées par Sophie Binet à l’Assemblée nationale le 21 octobre 2024.

Le parti d’extrême droite ne s’est jamais aventuré à reprendre certaines des propositions CGT pour dégager de nouvelles sources de financement. Pourquoi ? Parce qu’elles supposeraient d’affronter le capital. Pour financer sa proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites rejetée le 31 octobre 2024, le RN ne proposait ni hausse des salaires ou des cotisations patronales, ni contribution d’équilibre technique temporaire visant l’égalité professionnelle. Les seuls « gages financiers » du texte sont des mesures fiscales additionnelles dont le RN précisait en note de bas de page qu’il ne souhaite pas qu’elles s’appliquent.

Sur les retraites, les grandes annonces s’effondrent, la mise en opposition des travailleur·ses demeure

En juin 2024, deux jours après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le parti d’extrême droite déclarait s’allier avec Éric Ciotti, partisan de la retraite à 65 ans. Et le jour même, Jordan Bardella annonçait que l’abrogation de la réforme des retraites n’était pas une urgence et que « la réforme des retraites [viendrait] dans un second temps »3.

Durant cette campagne, l’Ugict-CGT s’est attelée à décrypter la réforme des retraites souhaitée par l’extrême droite. En refusant de financer ses mesures, le RN montre qu’il n’a pas vraiment l’intention qu’elle aboutisse. Mais il va aussi plus loin dans les mensonges quand il prétend améliorer la situation des retraité·es en indexant les pensions sur l’inflation. Cette méthode, déjà inscrite dans la loi depuis 1993, est très défavorable aux salarié·es, car les prix augmentent moins que les salaires sur une période longue.

Alors que la CGT cherche à rassembler le salariat autour d’une revendication commune de retraite à partir de 60 ans avec 75 % du meilleur salaire et la prise en compte des années d’études, le RN, lui, divise. Le parti d’extrême droite défend une retraite à 60 ans, avec 40 annuités, pour les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans, et un système « progressif » et « en fonction des contraintes budgétaires »4 pour les autres. Lors de sa campagne de 2022, Marine Le Pen a pu exposer, à l’occasion d’une conférence de presse dédiée aux retraites5, sa conception du monde du travail : « Le procédé est orienté vers un objectif simple : inciter les jeunes à privilégier l’activité, la création de valeur à la poursuite d’études supérieures ne leur garantissant pas une employabilité ou des revenus supérieurs à ceux qu’ils pourraient espérer en décalant leur entrée dans la vie active. Pour toutes ces personnes, ma réforme se traduira par un gain net. Je résume cette philosophie ainsi : travailler plus tôt, c’est travailler plus dur et donc c’est partir à la retraite plus tôt. »

Habitué à opposer les salarié·es entre eux, le RN n’hésite alors pas à comparer une personne qui a commencé à travailler à 18 ans avec le « cas type » imaginaire et caricatural d’une « personne [née en 1962] entrée tardivement sur le marché du travail, par exemple à 28 ans, après avoir fait des études longues et peut-être avoir pris un ou deux ans pour faire le tour du monde » et qui pourrait « partir à la retraite à taux plein automatique à 67 ans avec seulement 148 trimestres cotisés, soit seulement 39 années cotisées ».

Le RN s’illustre ainsi par son double discours permanent : annonces sociales inspirées des revendications des salarié·es, mais défense acharnée des intérêts patronaux. Les relations de plus en plus visibles qu’entretiennent les grands patrons et les organisations patronales avec ce parti contribuent à rendre la situation floue et dangereuse. En mettant dos à dos RN et NFP le 20 juin 2024, le président du Medef Patrick Martin a ainsi occulté les graves dangers démocratiques et sociaux que fait courir l’extrême droite.

Face à cette irresponsabilité patronale, la société civile a su faire front. À ce titre, la tribune signée par 1 500 diplômé·es de grandes écoles pour exprimer leur désaccord avec le Medef est à saluer. La course de fond dans laquelle nous sommes engagé·es contre l’extrême droite se poursuit et nécessite la vigilance de toute la CGT.

  1. Patrick Martin, sur FranceInfo le 5 septembre 2023
  2. Note éco CGT n° 164 « Comment sortir de dispositifs d’exonérations de cotisations sociales ? ».
  3. Sur France 2, le 11 juin 2024.
  4. Jordan Bardella, sur BFM le 14 juin 2024.
  5. Conférence de presse du RN du 17 février 2022.
Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l’Ugict-CGT

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