– Options : Au mois de juin 2025, pour la dernière semaine de la grille 2024-2025, vous étiez déjà en grève. Pourquoi avoir réitéré à la rentrée ?
– Bertrand Durant : Nous avons en effet conduit un mouvement à Radio France à partir du 26 juin, puis il y a eu la grève inter-entreprise de l’audiovisuel public, déclenchée le 30 juin contre le projet de création d’une holding. À la suite de cette double protestation, l’intersyndicale (CFDT, CGT, FO, SNJ, Sud, Unsa) a déposé, début juillet, un nouveau préavis pour la rentrée. La direction avait tout l’été pour négocier. Elle n’en a rien fait. La grève a donc été déclenchée le 25 août. Et a été bien suivie par les salariés, car les sujets d’inquiétude et de mécontentement se sont agglomérés au fil des mois – par exemple les attaques contre l’investigation et le reportage, notamment à France Inter. Il y a beaucoup d’inquiétude également sur la stratégie de diffusion, avec le retrait du Mouv’ de la bande FM et des menaces sur les émetteurs d’autres stations. La fusion de France 3 et de Radio bleue sous la bannière « Ici » fait également craindre pour l’avenir des radios locales du réseau. On ne peut pas s’empêcher d’y voir une préfiguration de ce que pourrait donner une holding de l’audiovisuel public.
– Comment se traduit cette fusion de France 3 et de Radio bleue dans la pratique ?
– Pour l’instant, elle n’est pas très opérante au-delà de quelques partenariats, notamment sur les matinales. Mais quand vous braquez une caméra, ça transforme la façon de faire de la radio. Et ça ne fait pas non plus de la bonne télévision. En imbriquant des pièces de différentes natures, c’est-à-dire de la radio et de la télévision, on finit par ne plus pouvoir faire correctement nos métiers, dans un domaine comme dans l’autre. Par ailleurs, Radio France a laissé les mains libres à nos partenaires sur la partie numérique de nos activités, comme ça avait été le cas avec le site web de France Info. De fait, nous avons le sentiment d’une dépossession. Derrière tous ces projets présentés comme « stratégiques » ou « éditoriaux », il y a en réalité des projets d’économies et de suppressions de moyens. Or, si l’on observe les fusions ou rapprochements de radios opérés dans d’autres pays d’Europe, on constate qu’à terme, c’est la radio qui en subit le plus les conséquences.
– En quoi la mutualisation du travail, notamment dans les rédactions, ne peut pas fonctionner ?
– On ne traite pas de la même façon les sujets en radio et en télé. Et, au sein même de Radio France, les rédactions des différentes chaînes travaillent l’information différemment. C’est ce qui fait la richesse des radios publiques et qui, selon nous, est attendu des auditrices et auditeurs. C’est pour cela aussi que l’on s’inquiète beaucoup du projet de « rédaction commune », dans le cadre de la holding. Les équipes concernées par ce type de rapprochement se sentent agressées dans leur exercice professionnel. Dans ces métiers, et en particulier dans le service public, elles sont attachées à la qualité. L’amenuiser revient à retirer du sens à leur travail, et ça engendre un risque psychosocial.
– Vous contestez également le projet de fusion des métiers de technicien et de réalisateur…
– En effet, la direction nourrit le projet de fusionner ces deux métiers : la ou le technicien a en charge la partie technique d’une émission, sa qualité sonore et sa mise en onde ; le ou la réalisatrice coordonne l’émission, établit le conducteur, assure l’enchaînement des séquences, des sons, etc. Là on créerait un nouveau métier – technicienne ou technicien chargé de réalisation (TCR) – qui ferait tout en même temps. Si c’est déjà le cas dans de nombreuses radios privées, ça pose la question de la qualité des émissions que l’on souhaite offrir. Il est évident qu’une seule personne ne peut pas faire autant et aussi bien que deux personnes. Elle n’en aura pas le temps. Notre crainte est donc que cela conduise à une simplification, et donc à un appauvrissement des émissions.
– La direction a-t-elle renoncé à ce projet ?
– Non. Il faut savoir que ce métier de TCR n’existe pas dans notre convention. Pour s’affranchir d’une négociation collective, la direction du groupe a mis en place une « mission TCR » basée sur le volontariat. Celui ou celle qui souhaite prendre en charge des émissions – jusqu’à quatre – en endossant ce rôle se voit proposer une prime de 3 000 euros par an. La direction avait prévu quatre TCR à France Inter et quatre à France Culture, officiellement pour dégager du temps de travail sur d’autres activités, comme la production de podcasts. Mais seules cinq personnes se sont portées volontaires, toutes des salariés précaires (en CDD) pour qui cette mission était l’opportunité de signer en CDI. La méthode est insupportable. Imaginez l’ambiance, alors que 409 personnes de divers métiers avaient signé une lettre ouverte contre ce projet. Grâce à la grève, nous avons cependant obtenu que la direction ne touche pas aux moyens de production en cours d’année. Un bilan de la « mission TCR » doit être fait cet hiver, avec la possibilité de revenir en arrière sur ce projet.
– Êtes-vous confiant ?
– Je pense qu’il faudra nous mobiliser à nouveau pour défendre nos moyens de production. Et pas seulement en ce qui concerne les métiers de technicien et de réalisateur. La direction a tenté des attaques dans d’autres secteurs, comme sur les captations de concert. Elle a reculé, mais on voit bien la stratégie : mettre le ver dans le fruit, attaquer les collectifs de travail, remettre en cause notre manière de travailler ensemble, notre idée d’un service public de qualité… C’est donc une direction sous surveillance.
Propos recueillis par Marion Esquerré