Revue de presse – Sécurité sociale : c’était mieux demain ?

On n’a pas tous les jours 80 ans. Née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la sécurité sociale continue pourtant d’opposer deux visions du monde : le collectif et le bien commun d’un côté ; l’individualisme et la loi du marché, de l’autre.

Publié le : 10 · 10 · 2025

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Pessin

Le 4 octobre dernier, la Sécurité sociale a fêté ses 80 ans. À sa manière, Alternatives économiques célèbre l’anniversaire en publiant une série « Vive la Sécu ! » Le titre donne le ton : « L’octogénaire qui fête ce mois-ci son anniversaire, tout le monde la connaît : la Sécurité sociale est en effet omniprésente à tous les âges de la vie. Le congé maternité, c’est elle. Les remboursements chez le médecin, encore elle. La pension de retraite, toujours elle. C’est elle, mais en fait, c’est nous. Car les ressources de la Sécurité sociale, ce sont nos cotisations et nos impôts : cette institution qui a vu le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, nous l’avons en commun ».

Construit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour « en finir avec la peur du lendemain », ce « commun », pourtant, est en danger. Non pas qu’on s’y attaque frontalement, personne ne se prononçant ouvertement « contre » la Sécurité sociale. Les attaques, préviennent de nombreux éditorialistes, sont plus sournoises, toujours au prétexte de la sauvegarder. Dans Politis, Caroline Braude et Pierre Jequier-Zalc posent ainsi les termes du débat. « Ce sont deux visions du monde qui s’opposent. Celle de l’individualisme, qui fait peser les risques sociaux sur la responsabilité de chacun. Et celle de la solidarité collective, qui cherche à socialiser les risques. D’un côté, la loi du marché et du plus fort. De l’autre, la Sécurité sociale. En 1945, le Parti communiste français, les organisations syndicales et les parlementaires du pays ont décidé de prendre la seconde option. Celle de la société, du collectif, du commun ».

Un système de protection dévitalisé

En ce 4 octobre, L’Humanité en fait sa une en expliquant : « Aujourd’hui comme hier, la Sécu se retrouve sur la ligne de front d’une bataille idéologique : la gauche, qui y voit une réponse à la toute-puissance du marché, veut la protéger contre vents et marées ; les plus libéraux la vouent aux gémonies pour les mêmes raisons ». Dans son éditorial titré « 80 ans et l’avenir devant » Laurent Mouloud parle d’un « travail de sape (qui) dure depuis des décennies ». Il explique : « Sous l’impulsion des libéraux, l’État a, peu à peu, pris le contrôle financier en dévitalisant le système des cotisations au profit de l’impôt (CSG et TVA) et d’une politique inconséquente d’exonérations patronales (77 milliards d’euros en 2024 !) qui fragilise comme jamais les recettes de la Sécu. À la logique du financement des besoins, la droite et le patronat (…) tentent de substituer celle de la réduction des dépenses, rêvant, in fine, d’imposer la privatisation ».

Avec des recettes ainsi fragilisées, personne ne doit s’étonner de l’accumulation au fil des ans des déficits de la sécu, dans un contexte par ailleurs de vieillissement de la population et d’augmentation des besoins, rappelle de nombreux médias. Il y a quelques mois déjà, un éditorial du Monde, se faisant l’écho du rapport de la Cour des comptes sur « l’application des lois de financement de la Sécurité sociale », jugeait ainsi la « dérive » inacceptable : « La France ne traverse ni crise économique ni crise sanitaire. Il n’y a donc aucune raison pour s’accommoder de tels déséquilibres, dont le financement sera assumé par les générations futures. Désormais, pèse le risque que les prestations sociales ne puissent plus être garanties. Attendre que cette menace se concrétise serait totalement irresponsable ».

Situation financière : insoutenable ?

Certains n’hésitent pas ainsi à brocarder le « trou de la sécu » qui, titre Le Parisien, « fête ses 58 ans » ou à mettre en garde contre le passage « du trou au gouffre », comme le fait Philippe Rioux dans La Dépêche du midi. Voire de pointer une responsabilité écrasante des dépenses sociales, jugées, « trop élevées » dans le creusement de la dette publique. Dans sa chronique des Échos, le sociologue Julien Damon écrit : « Crises répétées et alarmes réitérées ponctuent l’histoire de la Sécurité sociale. L’actualité immédiate relève d’inquiétudes prononcées quant à sa soutenabilité financière. Dans un contexte de dégradation générale des comptes publics, il apparaît très compliqué de faire vivre un modèle social qui ne permet pas de conjuguer efficacement société de faible activité, société de longévité et société de haute conflictualité. » Désormais, montre Eric Albert dans Le Monde c’est pour financer les dépenses en matière de Défense que les dépenses sociales sont, partout en Europe, clairement ciblées.

Et demain ? Au cours des dernières semaines, l’ex-Premier ministre Sébastien Lecornu a égrené, sans convaincre les syndicats, quelques mesures qui étaient censées être intégrées au projet de budget « Sécu » pour 2026, dont « une amélioration de la retraite des femmes ». Ironie de l’histoire, note Politis, c’est presque 80 ans jour pour après la création de la Sécu qu’il devait monter à la tribune de l’Assemblée nationale pour son discours de politique générale, là où Ambroise Croizat, ministre communiste du Travail et de la Sécurité sociale, avait alors déclaré : « Nul ne saurait ignorer que l’un des facteurs essentiels du problème social en France, comme dans presque tous les pays du monde, se trouve dans ce complexe d’infériorité que crée chez le travailleur le sentiment de son insécurité, l’incertitude du lendemain qui pèse sur tous ceux qui vivent de leur travail. Le problème qui se pose aujourd’hui aux hommes qui veulent apporter une solution durable au problème social est de faire disparaître cette insécurité. » Finalement, le « choc » des deux discours n’aura pas eu lieu…

Christine Labbe

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