« Des canaris dans les mines de charbon ? » C’est par ce titre pour le moins intrigant que s’ouvre une étude de l’université Stanford, en Californie, publiée cet été (1). Au début de l’ère industrielle, ces oiseaux étaient employés dans les galeries de charbon, où ils succombaient dès les premières émanations de gaz toxiques. Leur mort alertait les mineurs sur l’imminence du danger. Aujourd’hui, la métaphore vaut pour le déploiement rapide de l’intelligence artificielle générative. Trois ans après le lancement de ChatGPT, ce sont les jeunes diplômé·es qui sont les plus impacté·es sur le marché du travail américain.
Les universitaires de Stanford ne sont pas les seuls à l’affirmer. À Harvard aussi, des chercheuses et chercheurs le démontrent dans une étude réactualisée en octobre (2) à partir des données d’un grand fournisseur de logiciels de paie : « Nous constatons que, depuis l’adoption généralisée de l’IA générative, les travailleuses et travailleurs en début de carrière (âgé·es de 22 à 25 ans) dans les professions les plus exposées à l’IA ont connu une baisse relative de 13 % de leur emploi », soulignent Seyed M. Hosseini et Guy Lichtinger. L’ exemple des ingénieur·es logiciels est, de ce point de vue, marquant : leur emploi accuse une baisse de 20 % par rapport à 2022, indiquent les deux auteurs, qui parlent d’un « impact significatif et disproportionné », dû essentiellement à une réduction des embauches.
Dans un entretien à Options, Antonin Bergeaud, lauréat 2025 du Prix du meilleur jeune économiste pour ses travaux sur l’intelligence artificielle, a mis en garde contre ce risque émergent et contre-intuitif. Parmi les plus vulnérables face au déploiement de l’IA, il prévient : « Il ne faut pas oublier les jeunes. Nous n’avons pas encore trouvé la manière dont certaines et certains vont pouvoir financer leurs études ou entrer sur le marché du travail lorsqu’ils et elles se positionnent sur des métiers très exposés. »
Lien entretien avec Antonin Bergeaud
Les universitaires de Stanford ont suivi la dynamique de l’emploi en fonction de l’ancienneté, à partir de données relatives aux CV et aux offres d’emploi couvrant près de 62 millions de travailleuses et de travailleurs américains dans 285 000 entreprises sur la période 2015-2025. Ils et elle expliquent d’emblée pourquoi les jeunes actives et actifs occupant des emplois hautement qualifiés sont particulièrement touché·es : « Dans bon nombre de ces emplois, les travailleuses et travailleurs commencent au bas de l’échelle professionnelle en effectuant des tâches intellectuellement banales, c’est-à-dire des activités routinières mais exigeantes sur le plan cognitif, telles que le débogage de code ou la révision de documents juridiques. »
Or, ce sont ces tâches qui sont aujourd’hui les plus susceptibles d’être effectuées par IA. Corrélativement d’ailleurs, l’emploi des senior·es continue d’augmenter : une réalité documentée par Stanford comme par Harvard, qui mettent en évidence le fossé grandissant entre les taux d’emploi des plus jeunes et des plus anciennes et anciens, au fur et à mesure de la diffusion des IA génératives…
Chômage de longue durée : les diplômés aussi
Certes, ces résultats doivent être interprétés avec prudence, et à relativiser en fonction de la taille des entreprises, de la composition de la main-d’œuvre et des secteurs d’activités. De plus, l’analyse couvrant une période relativement courte (2023-2025), des ajustements de plus long terme en matière de formation, de répartition des tâches et d’échelonnement des carrière internes pourraient soit atténuer, soit amplifier les premiers effets observés.
Mais l’analyse doit être considérée avec sérieux : « L’adoption de l’IA générative semble éloigner le travail des tâches de niveau débutant, réduisant ainsi les échelons inférieurs des échelles de carrière internes, prévient Stanford. Étant donné que les emplois en début de carrière sont essentiels à la croissance salariale et à la mobilité tout au long de la vie, ces changements pourraient avoir des conséquences durables sur les inégalités et la prime salariale liée au diplôme universitaire. »
Déjà, les États-Unis font face à une augmentation du chômage de longue durée (durant plus de six mois), qui est à son plus haut niveau depuis trois ans, explique le New York Times… et cette augmentation est portée par le chômage des diplômé·es universitaires.
- Erik Brynjolfsson, Bharat Chandar, Ruyu Chen, « Canaries in the coal mines ? Six facts about the recent employment effects of artificial intelligence », Stanford University, août 2025.
- Seyed M.Hosseini, Guy Lichtinger, « Generative AI as seniority-biased technological change : evidence from US résumé and job posting data », Harvard University, octobre 2026.
