Une réforme fiscale asphyxie les Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement

Associations d’intérêt public, les CAUE sont privés de ressources par la défaillance dans la collecte de la taxe d’aménagement. Leurs salarié·es, des cadres pour la plupart, ont créé une coordination nationale CGT, qui exige l’arrêt des licenciements et la mise en place d’un fonds de sauvegarde.

Publié le : 07 · 11 · 2025

Mis à jour le : 12 · 11 · 2025

Temps de lecture : 8 min

Les CAUE jouent souvent un rôle de médiateurs indépendants entre différents acteurs·rices d’un même chantier.

PhotoPQR/Ouest France/MaxPPP

Six des vingt-cinq collègues de Claire Garnier ont dû partir fin septembre, licencié·es. Deux architectes, une urbaniste, une paysagiste, une graphiste, une secrétaire. Victimes d’une réforme fiscale dont les effets n’avaient pas été anticipés. Plusieurs, proches de la retraite, ont été « volontaires » pour éviter aux plus jeunes de se retrouver au chômage. « S’ils avaient pu, ils seraient restés », commente Claire Garnier, salariée depuis douze ans de ce conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), en Gironde.

Associations qui donnent des conseils gratuits aux citoyens, aux citoyennes et aux élue·es sur des projets de construction ou d’aménagement, les CAUE sont présents dans 92 départements. Chaque structure compte en moyenne 10 salarié·es, dont plus de 80 % sont cadres. Créés en 1977, ils ont pour mission de « faire de la qualité du cadre de vie une préoccupation d’intérêt public », explique un manifeste rédigé en juillet 2025 par la CGT-CAUE.

En Gironde, « difficile de maintenir une équipe solidaire et une ambiance de travail satisfaisante », commente un salarié. Comme on ne fait pas le même travail à 20 qu’à 26, toutes les missions ont été revues à la baisse. Le nombre de permanences ouvertes aux particuliers en quête de conseils sur la rénovation ou la construction de logements a été réduit. Les activités de sensibilisation auprès des scolaires ont drastiquement diminué : « On répond favorablement aux premières demandes ; pour les autres c’est compliqué », déplore Claire Garnier.

Une réforme fiscale mal menée

L’argent, en effet, n’arrive plus. Ces associations sont normalement financées par la fiscalité publique via une taxe sur les travaux de construction ou de rénovation, dite « taxe d’aménagement ». L’agent est ensuite distribué aux départements, qui en affectent une part au financement des CAUE.

Or, la loi de finances pour 2021 a transféré la gestion de ces fonds du ministère de la Transition écologique au ministère de l’Économie. « La réforme s’étant faite très rapidement, on s’est retrouvés sans les savoir-faire », résume Frédéric Scalbert, secrétaire national de la CGT à la Direction générale des finances publiques (DGFIP). En effet, sur les 350 personnes chargées de son recouvrement au ministère de la Transition écologique, moins de 100 ont été mutées au ministère de l’Économie.

Près de 1,5 milliard d’euros manquants

Autre problème : un changement de temporalité. Depuis le 1er septembre 2022, les propriétaires doivent s’acquitter de cette taxe à l’achèvement de leurs travaux, et non plus un an après leur démarrage. Ce qui provoque un décalage dans la perception des recettes. Outre le recul des chantiers, la fin de la déclaration papier et des dysfonctionnements informatiques ont rendu le cocktail explosif. Au final, le système « réellement opérationnel depuis février 2025 atteint tout juste la vitesse de croisière », décrit Frédéric Scalbert.

Selon la Fédération nationale des CAUE et le ministère de l’Économie, il manquerait dans les caisses des collectivités près de 1,5 milliard d’euros sur deux ans. En juin 2025, un rapport parlementaire sur les dysfonctionnements dans la gestion des impôts locaux confirmait que les recettes de la taxe d’aménagement connaissaient « une baisse significative ».

Déjà 10 % des postes supprimés

Financés à 80 % par la taxe d’aménagement, les CAUE sont aujourd’hui exsangues. Celui de la Manche est en liquidation judiciaire, celui de l’Orne est très menacé. Leur fédération nationale a recensé 10 % de postes supprimés en dix-huit mois à l’échelle nationale, ce que confirme une enquête en ligne réalisée en octobre 2025 par la CGT-CAUE. Plusieurs associations craignent de se retrouver bientôt sans trésorerie. « La masse salariale constitue l’essentiel des dépenses. S’il y a une baisse des recettes, il y a tout de suite des licenciements », explique Arthur Peyne, de la CGT-CAUE de l’Aude. 

Dès 2021, avec l’appui de la CGT-DGFIP, la CGT-CAUE, alors balbutiante, avait pourtant sonné l’alarme. Mais dans ces associations composées quasi exclusivement de cadres, « la méfiance vis-à-vis des syndicats est très forte », explique Arthur Peyne. Dans l’Aude, en se battant, le syndicat réussit pourtant à récupérer du budget et deux postes. Et lorsque les employeurs dénoncent la convention collective, la CGT organise en réponse un sondage en ligne pour que les salarié·es donnent leur avis sur le choix d’une nouvelle convention. Toutes les informations nécessaires à la compréhension des enjeux sont rassemblées dans un serveur accessible à tous et toutes, une réunion syndicale nationale est organisée en visioconférence. Dans plus de 20 % des CAUE, des équipes se réunissent pour répondre collectivement au sondage.

Ce travail permet de « raccrocher plein de collègues, de montrer qu’on est des gens normaux, qui savons mener un travail collectif. On les a convaincus du sérieux de la pratique syndicale », raconte Arthur Peyne. Certains et certaines découvrent dans l’engagement syndical une façon de redonner du sens à leur travail, apprécient les discussions entre collègues autour de valeurs professionnelles, comme la gratuité. Des élu·es CSE sans étiquette rejoignent la CGT.

« Nous sommes mille à faire face aux mêmes problèmes »

Pour ces salarié·es engagé·es dans la sauvegarde de leur outil de travail, plusieurs questions se posent : comment faire nombre ? Comment donner de l’écho à leurs préoccupations alors que leurs structures sont méconnues ? Première étape : changer la focale. Le 14 octobre, c’est ce que propose à ses collègues Anna, de la CGT-CAUE du Rhône, en introduction de la visioconférence publique. « Nous sommes en moyenne dix salarié·es par CAUE, donc on a l’impression d’être isolé·es face à nos problématiques. Mais on peut voir les choses autrement : nous sommes dix dans 92 départements, donc 10 × 92… Nous sommes mille à faire face aux mêmes problèmes. On n’est pas seuls. » C’est dans cette optique que s’est créée une coordination CGT des CAUE, qui a organisé en juillet des rencontres nationales à Lyon.

Seul le syndicat de l’Aude a pour l’instant un réel statut de syndicat. « Difficile, explique Arthur Peyne, de dire aux nouveaux syndiqués, déjà très occupés à sauver leur emploi, de se lancer dans les démarches pour créer une structure syndicale. » Il n’existe pas de CSE dans tous les CAUE, certains employant moins de 11 salarié·es, et encore moins de CSE central, chaque CAUE étant indépendant. N’étant pas élu·es pour la plupart, les syndiqué·es ne disposent pas de temps dédié à l’action syndicale. Dans les faits, beaucoup sont syndiqué·es dans leur union locale, qui a souvent payé le trajet et l’hébergement pour se rendre aux rencontres nationales. Mais désormais, la Fédération nationale des CAUE reconnaît la coordination CGT comme interlocutrice.

Chercher des allié·es

Les syndiqué.es ont aussi rejoint la CGT pour son « réseau syndical de terrain ». Depuis 2021, un travail a été engagé avec la CGT-DGFIP, qui leur a fourni des informations sur le recouvrement de la taxe d’aménagement. À plusieurs reprises, celle-ci est également intervenue dans le cadre du comité de suivi de la réforme fiscale, en dénonçant « la responsabilité directe de Bercy dans ces suppressions d’emplois ». À travers ses communiqués, elle a apporté de la visibilité à la CGT CAUE.

Des liens ont aussi été tissés avec des architectes syndiqué·es et avec la CGT des écoles d’architecture, qui a fait adopter des motions de soutien dans les conseils d’administration de ces établissements. D’autres connexions existent aussi localement avec la Confédération paysanne. « Quand on est un petit syndicat, c’est primordial d’identifier tous les relais possibles », résume Arthur Peyne. Faire partie de la CGT permet enfin d’ouvrir des portes. Qu’il s’agisse de la presse, des parlementaires, des préfets, « les CAUE, ils ne savent pas ce que c’est ; la CGT, ils savent ».

L’urgence d’un fonds de sauvegarde

Dans l’immédiat, la CGT-CAUE demande l’arrêt des licenciements et la mise en place d’un fonds de sauvegarde. Elle explique ainsi dans un tract : « L’État est responsable de la récolte de cet impôt. Il doit donc compenser les éventuelles pertes, comme cela a déjà été fait pour la taxe d’habitation. » Il devra ensuite résoudre le déficit de recettes lié aux défaillances de la collecte de la taxe d’aménagement.

Au CAUE de la Gironde, Claire Garnier s’est syndiquée à la CGT en juillet, et participe aux réunions syndicales hors temps de travail, le midi ou le soir : « Le temps que je ne passe pas à mon travail, je le passe à défendre mon travail », commente-t-elle. Elle y consacre beaucoup d’énergie, mais elle l’affirme : « Ça me soutient énormément d’être dans l’action et de savoir que je ne suis pas isolée. »

Lucie Tourette

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