Encadrement supérieur de la fonction publique : quand le devoir de loyauté supplante le droit à la citoyenneté

Les membres de l’encadrement supérieur de la fonction publique risquent de se voir privés de leurs droits d’être élus aux comités sociaux (d’administration, territoriaux, d’établissement).

Publié le : 04 · 12 · 2025

Mis à jour le : 05 · 12 · 2025

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droit public

Les prochaines élections professionnelles destinées au renouvellement général des instances de dialogue social des trois versants de la fonction publique auront lieu le 10 décembre 2026.

L’article R. 211-40 du code général de la fonction publique (CGFP) dispose, dans sa version actuelle, que :

« Sont éligibles à un comité social les agents remplissant les conditions requises pour être inscrits sur la liste électorale de ce comité.

Toutefois, ne peuvent être élus :

  1. Les agents en congé de longue maladie, de longue durée ou de grave maladie ;
  2. Les agents frappés de l’une des sanctions disciplinaires du troisième groupe mentionnées à l’article L. 533-1 [du CGFP] (1), à moins qu’ils n’aient été amnistiés ou qu’ils n’aient bénéficié d’une décision acceptant leur demande tendant à ce qu’aucune trace de la sanction prononcée ne subsiste à leur dossier ;
  3. Les agents frappés de l’incapacité prononcée en application des dispositions de l’article L. 6 du code électoral. (…). ».

Une inéligibilité élargie à l’encadrement supérieur

Or, un projet de décret de la Direction générale des collectivités territoriales (DGCL), soumis à l’avis du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), lors de sa séance du 12 novembre 2025, entend élargir le champ de cette série d’inéligibilités aux comités sociaux territoriaux (CST) les agents occupant des emplois fonctionnels de direction. IL s’agit des directeurs généraux des services (DGS), des directeurs généraux adjoints (DGA) et des directeurs généraux des services techniques (DGST). Par souci d’unité, les conseils supérieurs des deux autres versants de la fonction publique (de l’État et hospitalière) devraient prochainement être saisis, pour avis, la même interdiction concernant des détenteurs d’emplois comparables (emplois supérieurs).

S’agissant du CSFPT, le projet de décret a reçu un avis défavorable, unanime, des syndicats, tandis que l’ensemble du collège employeur a voté pour. Aussi ce texte sera-t-il représenté lors de sa séance du 10 décembre 2025, conformément aux règles relatives au fonctionnement de cette instance.

La DGCL explique que ce projet de décret est la conséquence d’une décision du Conseil d’État du 26 janvier 2021 (3), qui a jugé que les agents détachés ou recrutés sur un emploi fonctionnel de DGS ou DGA « ne peuvent se porter candidats aux élections des représentants du personnel au sein du comité technique, dès lors qu’ils doivent être regardés, eu égard à la nature particulière de leurs fonctions, comme ayant vocation à représenter la collectivité ou l’établissement employeur ».

Une comparaison audacieuse avec la situation des cadres du secteur privé

Cette règle se veut être la copie de celle inscrite dans le code du travail, à l’article L. 2314-19, lequel dispose :

« Sont éligibles [au comité social et économique— ex comité d’entreprise] les électeurs âgés de dix-huit ans révolus, et travaillant dans l’entreprise depuis un an au moins, à l’exception des conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité [Pacs], concubin, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré de l’employeur ainsi que des salariés qui disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise ou qui le représentent effectivement devant le comité social et économique (…) ».

Or, cette règle porte directement atteinte à la garantie figurant au 8e alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité ; lequel indique que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Ainsi, un cadre supérieur de la fonction publique pourra voir ses droits réduits au nom d’un « devoir de loyauté », dont on connaît les limites eu égard aux prises de positions de certains édiles locaux, prêts à tout pour servir une cause funeste ou détestable.

En outre, on notera une incohérence, puisque l’ensemble des comités sociaux territoriaux (CST) n’est pas concerné. En effet, le décret ne semble pas concerner les CST rattachés aux centres de gestion.

  1. Il s’agit des sanctions suivantes : la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l’échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l’échelon détenu par le fonctionnaire et l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans ;
  2. Ainsi, « ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale, pendant le délai fixé par le jugement, ceux auxquels les tribunaux ont interdit le droit de vote et d’élection, par application des lois qui autorisent cette interdiction » ;
  3. CE, 26 janvier 2021, syndicat CFDT Interco du Calvados, requête n° 438733.
Edoardo Marquès

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