C’est à une véritable redécouverte qu’invite la fondation Jérôme-Seydoux – Pathé, en organisant dans ses locaux l’exposition « L’œil de Roger Corbeau », dont on peut dire qu’il a été l’un des inventeurs de la photographie de plateau en France. Né en 1908 à Haguenau, en Alsace, mort à Paris en 1995, il a traversé son siècle, appareil photo au poing, sur les tournages de films dont il a laissé, en amoureux fervent du cinéma, des traces mémorielles incomparables.
Tout enfant, c’est à Strasbourg, à l’époque du muet, que se révèlent à lui les blondes héroïnes trépidantes qui ont bien des malheurs, telle l’adorable actrice américaine Pearl White, morte à Neuilly en 1938, à 46 ans seulement. Son portrait lumineux figure, au milieu d’autres, dans son abondante collection de visages, commencée dès l’adolescence. Cinéphile précoce, il découpait alors, dans les revues, les images de films.
Engagé par Marcel Pagnol
Roger Corbeau se rend à Paris en 1932 avec « l’idée fixe, dira-t-il, de faire du cinéma, d’approcher les comédiens ». Il est accessoiriste quand Marcel Pagnol le remarque et l’engage comme photographe de ses films et de ses productions. Tout part de là. Il travaille aussi avec Jean Renoir (pour Toni, en 1935), Sacha Guitry, Pierre Chenal, Max Ophüls, Marcel L’Herbier… Il s’affirme d’emblée, à l’instar de ses confrères Sam Lévin (1904-1992) et Raymond Voinquel (1912-1994), comme un maître dans sa spécialité. Ses portraits en noir et blanc en témoignent à l’envi.
Il n’est qu’à voir ceux d’Arletty, littéralement inoubliables. C’est que Roger Corbeau saisit l’état d’esprit de chaque film dans la physionomie de ses actrices et acteurs. Exigeant, voire obsessionnel, il ne se contente pas d’un instant de pose. Il imagine sa version du film en cours de réalisation comme une histoire personnelle reflétée dans les visages. Durant la guerre, pour lui « la fin du rêve », persécuté en tant que Juif, il ne peut travailler et doit se cacher avec sa famille. Il prend le maquis.
Ses portraits naissent d’un échange affectif
À la Libération, c’est tout naturellement que Raymond Bernard l’engage sur Un ami viendra ce soir (1946), un film sur la Résistance. La rencontre avec Jean Cocteau lui permet de fixer durablement les phases des tournages de ce grand réalisateur et d’exécuter des portraits en situation de Jean Marais, Maria Casarès, Yvonne Debray, entre autres. Les portraits de Roger Corbeau naissent d’un échange affectif avec l’acteur, dont les traits épousent alors à l’expression du personnage incarné.
« Pour chaque film, affirme-t-il, il faut former une série de portraits des principaux personnages de l’histoire, comme s’il s’agissait d’un album de famille. » C’est grâce au procédé Ektachrome qu’il aborde la couleur, qui lui permet de sublimer l’exquise Brigitte Bardot dans ses débuts. C’est en couleur qu’il rend compte des Misérables de Le Chanois et du Fantomas d’André Hunebelle. Des noms aussi prestigieux que ceux de Michèle Morgan, Jean Gabin, Louis de Funès, Yves Montand, Simone Signoret, Mylène Demongeot, Orson Welles, Sophia Loren, Isabelle Huppert ou encore Jodie Foster se côtoient donc, grâce à l’œil de Corbeau, sur les cimaises d’un éphémère musée de la mémoire cinématographique.
- Jusqu’au 31 janvier 2026, à la fondation Jérôme-Seydoux – Pathé, 73 avenue des Gobelins, Paris 13e.
PHOTO : Arletty, portrait pour Fric-Frac de Maurice Lehmann, 1939. M. Lehmann.
CREDIT : Roger Corbeau/Les Films de la Pléiade/Les Films du jeudi
