Dette publique : cinquante nuances de chaos

Le récit alarmiste de François Bayrou, même démis, continue de diviser : faut-il, comme il l'a assené, craindre la tempête… ou redouter une mise en scène politique destinée à imposer l’austérité ?

Publié le : 12 · 09 · 2025

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Pessin

C’est, pour François Bayrou, un « danger mortel ». Qui nous mènerait tout droit au chaos si la confiance devait lui être refusée, le 8 septembre. En multipliant les interventions, l’ex Premier ministre, se présentant seul contre tous, n’a cessé de cultiver un discours alarmiste sur le niveau de la dette publique — et de sa charge —, en filant notamment la métaphore d’un bateau qui fait naufrage, faute d’avoir colmaté à temps les voies d’eau que personne ne voulait voir. 

Dans Les Échos, Dominique Seux, pour qui la posture ne manque pas de panache, relaie l’inquiétude : « Il ne faut pas imaginer qu’une chute du Premier ministre le 8 septembre, suivie d’un pays agité le 10 (un “blocage” est très improbable) serait sans conséquence. Juste après sa prise de parole, la Bourse affichait un recul de 1,6 %. Le taux à dix ans sur la dette française touche les 3,50 %, au-dessus des dettes portugaise, espagnole et grecque, à un poil de la dette italienne (3,59 %). Tout ceci est vraiment inquiétant. »

La tempête après la chute ?

Mais Bayrou en fait-il trop ? Le 28 août 2025, la question est posée en une de Libération, qui donne la parole à cinq économistes. Si aucun n’y prétend que la situation d’endettement n’est pas un souci, ils mettent de sérieux bémols à la dramatisation extrême agitée par l’exécutif. Le quotidien va jusqu’à tenter un jeu de mots audacieux en titrant « Dette publique : risque de chaos ou simple cahot ? ». Maniant l’ironie, Jean-Baptiste Daoulas et Anne-Sophie Lechevallier se demandent s’il faut, sans attendre, « stocker des boîtes de conserve, planquer des billets sous le matelas, ou tout simplement respirer un grand coup en attendant que ça passe ». Mais ils préviennent : « À force d’être agitée, la rhétorique de la peur s’émousse […]. Le 26 novembre 2024, Michel Barnier prévoyait ainsi “une tempête probablement assez grave” sur les marchés en cas de censure de son gouvernement. C’est à peine si la “tempête” a soufflé après sa chute. »

Dans Alternatives économiques, Christian Chavagneux est affirmatif : «La France n’est pas au bord de la faillite, les créanciers financent sans problème notre endettement, notamment parce qu’en dépit de tous les évènements historiques traversés, l’État a toujours payé ses intérêts. » L’éditorialiste appuie son analyse en se référant aux conclusions d’une étude tempérant, dans une perspective historique, les discours promettant le chaos. 

Parmi ses coauteurs, Éric Monnet, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales et à l’École d’économie de Paris, spécialiste des crises financières, avance dans Libération : « Rien dans les indicateurs ne laisse penser qu’une crise de la dette publique serait imminente. »

De Pierre Mendès France… à François Bayrou ?

Pour autant, la progression de la dette et la gestion – que Christian Chavagneux juge « calamiteuse » – des finances publiques en 2023 comme en 2024 imposent désormais, selon lui, de « ralentir cette progression en diminuant le déficit budgétaire ». Il poursuit : « La période d’austérité serait mieux acceptée si le gouvernement arrivait à bâtir un consensus autour d’un effort partagé par tous. Ce n’est malheureusement pas la voie choisie le 15 juillet dernier. De ce point de vue, le Premier ministre ne s’est pas montré à la hauteur de l’histoire.»

Si l’on en croit le site Les Jours, dans un épisode de « House of tocards », ou Médiapart, ce n’est pas ainsi que le principal intéressé, qui se voit au contraire en hériter de Pierre Mendès France, considère son action. Président du conseil des ministres pendant sept mois et dix-sept jours, entre juin 1954 et février 1955, ce dernier perdit la confiance de la Chambre des députés sur la question de la politique algérienne. Romaric Godin corrige le parallèle : « Le discours volontairement dramatisant [de François Bayrou] vise à imposer des mesures de destruction sociale et à attaquer la société. C’est l’inverse de ce qui a fait chuter Mendès : la volonté de préserver la société d’une lutte intestine. Mendès était, de plus, lucide sur la situation de l’Algérie. François Bayrou, lui, instrumentalise la dette, en affirmant le pays au bord du défaut de paiement, ce qui est faux, et en ne présentant qu’une seule politique possible – l’austérité –, ce qui est là encore très discutable. »

Cadeaux fiscaux aux entreprises : jusqu’à quand ? 

Le mot « austérité » ne fait pourtant pas l’unanimité. Il est contesté dans un éditorial du Monde au motif que le plan de François Bayrou « représente 2,6 % d’une dépense publique qui continuera d’augmenter ». Mais il est assumé par L’Humanité qui, de manière faussement naïve, se demande si l’austérité est la seule façon de rembourser la dette, « cheval de Troie contre les droits sociaux ». Le quotidien met ainsi en lumière les « voix qui appellent à sortir du piège capitaliste ». Parmi celles-ci, l’économiste Éric Berr qui alerte  : « Ce qui compte, c’est l’usage que l’on fait de la dette, et aussi son taux d’intérêt réel, inflation déduite. Tant que ce taux est inférieur à la croissance, tout va bien. » En outre, analyse Hélène May, l’argumentaire catastrophiste « fait l’impasse sur la principale raison de l’emballement du déficit : la multiplication des cadeaux fiscaux sans contrepartie aux classes aisées et aux entreprises depuis l’arrivée au pouvoir du président Macron. »

Réunis à Roland-Garros pour la Rencontre des entrepreneurs de France (Ref), les patrons sonnent déjà l’alarme et expriment une inquiétude unanime. Officiellement contre le risque d’instabilité politique, soutient Le Monde. Dans les faits, contre celui d’être mis à contribution, relaie L’Opinion : « Sous des noms nouveaux, l’esprit de l’Isf ressurgit, au grand dam du Medef et des chefs d’entreprise qui redoutent une hémorragie de capitaux et de talents. Un nouveau coup porté à l’économie française qui n’a vraiment pas besoin de cela. » Comme si de rien n’était.

Christine Labbe

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