International : quelles ripostes syndicales face à l’extrême droite ?

Au 20ème congrès de l'Ugict-CGT, des syndicalistes venus de Hongrie, du Québec et de Belgique ont témoigné de l'ampleur de la poussée réactionnaire. Comment faire face ? En menant une offensive sociale qui valorise la solidarité plutôt que le repli haineux.

Publié le : 05 · 12 · 2025

Temps de lecture : 8 min

Happening militant de lutte contre l'extrême droite

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Des syndicalistes sont venu·es de Hongrie, du Québec et de Belgique au 20e congrès de l’Ugict pour témoigner de la poussée réactionnaire, toujours au détriment des droits des salarié·es. Comment faire face ? En menant une offensive sociale qui valorise la solidarité plutôt que le repli haineux.

Les dernières élections européennes ont « complètement changé le paysage européen », décrit en introduction Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres. En effet, si les trois partis d’extrême droite pèsent désormais 26 % des votes, en augmentation de 2 points, le principal bouleversement vient du Parti populaire européen (PPE) qui a simultanément augmenté son nombre de sièges et droitisé ses positions, s’alliant à l’extrême droite sur nombre de votes.

Aujourd’hui, sur 720 député·es, la gauche, la social-démocratie et les Verts en représentent seulement 235, loin des 361 député·es nécessaires à la majorité. Cette nouvelle donne « complique beaucoup notre travail parce qu’il va falloir aller “piocher” chez les députés PPE susceptibles de voter pour les dossiers défendant les travailleurs », commente Nayla Glaise. De son côté, le Conseil européen, composé des chef·fes d’État ou de gouvernement de l’Union, est sous influence de l’extrême droite. 

Hongrie : un fascisme prétendument « antisystémique »

Pour mieux comprendre l’arrivée au pouvoir de Victor Orban en 2010, Károly György, membre de la Confédération nationale des syndicats hongrois (MSZOSZ), remonte aux années 1990. Démocratie parlementaire, liberté d’association… mais aussi effondrement de l’économie, chômage massif, perte de confiance dans les syndicats et dans la politique. C’est sur ce terreau que l’extrême droite a émergé. 

Victor Orban n’a pas tardé à changer la Constitution. « Hier avait lieu le 50e anniversaire de la fin des quarante années fascistes sous Franco en Espagne, rappelle Károly György. L’esprit de cette période fasciste s’est transformé pour ressurgir dans plusieurs mouvements qui ont réussi à transformer le fascisme d’antan en système prétendument antisystémique. »

La Belgique gronde et manifeste

Côté flamand, le parti d’extrême droite Vlaams Belang n’est pas au pouvoir, mais pèse plus de 20 % des voix aux élections. Et le parti nationaliste au pouvoir, le N-VA, s’inspire de plus en plus de son programme. Si, en Wallonie, le poids de l’extrême droite est négligeable, le Mouvement réformateur (libéral), reprend lui aussi à son compte de nombreuses idées économiques du Vlaams Belang.

Membre du Syndicat des employé݇s, techniciens et cadres (SETCa/BBTK) Johan Van Eeghse se réjouit des mobilisations historiques qui ont lieu en Belgique. Le 14 octobre, plus de 100 000 personnes ont répondu à l’appel des syndicats et manifesté à Bruxelles contre le plan gouvernemental prévoyant de réduire de 20 milliards les dépenses de l’État. Remise au travail des malades de longue durée, limitation de la durée des indemnités chômage… Les syndicats proposent, en alternative, la taxation des plus riches et une lutte accrue contre la fraude fiscale. Fin novembre, trois jours de grève devaient être massivement suivis.

Québec : vers une restriction du financement syndical

Le discours d’extrême droite « commence à déteindre » sur le gouvernement québécois de centre-droit, témoigne pour sa part Jessica Goldschhleger, membre de la fédération des professionèles (FP-CSN). À moins d’un an des prochaines élections, elle observe une « multiplication de lois d’extrême droite ». L’une d’entre elles vise à limiter le droit de grève en étendant l’obligation de service minimum à tous les lieux qui permettent « le bien-être de la population »

Le gouvernement s’attaque aussi à la « Formule Rand » : au Québec, quand une majorité de travailleuses et de travailleurs d’une entreprise sont syndiqués, toutes et tous leurs collègues paient automatiquement une cotisation syndicale, prélevée directement sur le salaire. C’est ainsi que le Québec atteint un taux de syndicalisation de 40 %. La logique est la suivante : puisque l’ensemble des travailleuses et travailleurs tirent profit des conditions négociées par le syndicat, il est juste qu’ils cotisent toutes et tous.

Or, le gouvernement actuel veut rendre une part de cette cotisation facultative. En réponse, une campagne syndicale intitulée « Faire front » dénonce les reculs sociaux. « Faire front pour les travailleurs, pour les services publics, pour le Québec, pour le climat », énumère Jessica Goldschhleger. La campagne ne rencontre cependant qu’un faible écho dans la population québécoise puisque, selon un récent sondage, 73 % des personnes interrogées estimaient que les syndicats avaient trop de pouvoir. 

Au Parlement européen, l’extrême droite vote contre les droits des travailleuses et travailleurs

Nayla Glaise le souligne : « Les votes des partis d’extrême droite ne sont jamais une surprise. » Au Parlement européen, leurs député·es ont voté contre le salaire minimum, contre la transparence salariale, contre la directive sur les plateformes, contre un meilleur encadrement des stages. Ils et elles ont en revanche voté pour un texte qui réduit à néant le devoir de vigilance des entreprises. 

Reste une question : pourquoi cette stratégie, alors que les partis d’extrême droite prétendent porter la voix des travailleuses et travailleurs ? Pour Nayla Glaise, la réponse est évidente : « Les travailleurs qui voient leurs droits s’effondrer de jour en jour constituent pour elle un vivier important. » La présidente d’Eurocadres décrit deux catégories d’électrices et électeurs qui se greffent aujourd’hui à l’électorat traditionnel de l’extrême droite : « Ceux et celles qui perdent en protection en raison d’une politique d’austérité dans leur pays ; celles et ceux qui vivent dans des pays pourvus d’une bonne protection sociale, mais dont ils ne bénéficient pas, soit parce qu’ils sont isolés, soit parce que le système ne les prend pas en compte. »

Rester vigilants, protéger les militantes et militants

Signe de l’intérêt des délégué·es pour ce débat, onze interventions suivent la table ronde.

À Lyon, « des militants et militantes CGT ont subi des guet-apens sur leur lieu de travail », témoigne Samuel (Ferc, Rhône) en faisant de leur sécurité et de leur protection « un enjeu fondamental ». Thérèse (Nord) appelle à soutenir Jean-Paul Delescaut, secrétaire de son union départementale (UD), condamné à un an d’emprisonnement avec sursis pour « apologie du terrorisme », après la diffusion d’un tract : « La lutte contre l’antisémitisme, contre le racisme et contre toute apologie du terrorisme est un impératif absolu. Mais cet impératif ne saurait être détourné pour bâillonner le mouvement social ni faire taire la CGT. »

La réaction, favorisée par « les déserts informationnels »

Dans l’Allier, l’UD a initié cet été des rassemblements de protestation contre des spectacles financés par le milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Sterin. L’extrême droite cherche aussi à « s’immiscer dans des associations, dans la culture et dans la presse, pour toucher les oreilles de ceux que les choses politiques rebutent », souligne Jordann (FAPT, Allier).

De retour de Prague, Pablo Aiquel, secrétaire général du SNJ-CGT et vice-président de la Fédération européenne des journalistes, raconte comment la prise en main de la presse par des milliardaires a permis la nomination de l’actuel Premier ministre, lui-même milliardaire, pro-Trump et soutenu par l’extrême droite. Cette dernière, explique-t-il est « favorisée par les déserts informationnels »

Pour un autre monde, ne pas se limiter à un « antifascisme moral »

Les Ictam « sont de moins en moins épargnés par les idées d’extrême droite » rappelle Samir (IGN, Paris). Les attaques contre les agences de l’État (Ademe et Office français de la biodiversité) et les réglementations environnementales font écho aux attaques du gouvernement de Donald Trump ciblant les agences fédérales, comme celle de la météo. 

De nombreuses multinationales, comme CGI (Conseillers en gestion et informatique), ont emboîté le pas au président américain, lorsqu’il a déclaré illégales les mesures visant à favoriser la diversité des salariés. Élue dans cette entreprise, Randja cite un rapport de l’ONU qui a aussi pointé « de nombreux partenaires, fournisseurs et clients de CGI impliqués dans l’économie du génocide, qui se font de l’argent sur le meurtre de Palestiniens. » Elle demande la mise en débat et au vote par le congrès d’une motion « Arrêtons le génocide à Gaza ».

Merwan (MGEN, Rhône) invite les Ictam à « ne pas se limiter à un antifascisme moral » et à lutter activement contre les idées d’extrême droite « en montrant que c’est possible de gagner ». « Comment fait-on reculer le fascisme pour de bon ? » questionne Jean-Marc (UFCM). « En le dénonçant, oui, mais aussi et surtout en améliorant la vie des gens. La lutte défensive parle surtout à celles et ceux qui sont déjà convaincus. Elle est indispensable. Mais pour toucher celles et ceux qui tombent dans le piège, il faut une offensive sociale, un projet qui améliore réellement la vie des travailleuses et des travailleurs. » Il conclut en dédiant son intervention à ses « deux filles et à leurs trois nationalités ».

Lucie Tourette

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