Vu d’Europe – Offensives pour une réduction des protections législatives

Après l'adoption de la directive dite Omnibus de "simplification" réglementaire au nom de la compétitivité, la Commission a annoncé un plan d'action en faveur de l'IA qui promet 200 milliards d'euros d'investissements sans guère d'exigences sociales ni environnementales.

Publié le : 24 · 04 · 2025

Mis à jour le : 09 · 05 · 2025

Temps de lecture : 5 min

Image abstraite réalisée par Antoine Thibaudeau, mélangeant peinture acrylique, étoiles scintillantes et reflets aquatiques.

En ce 1er mai 2025, nous avons rejoint nos collègues belges dans leur opposition aux propositions de la coalition gouvernementale « Arizona » visant à réduire les droits à la retraite et les services sociaux. Mais à Bruxelles, c’est surtout l’actualité européenne qui a été marquée par les ambitions « simplificatrices » de la directive dite Omnibus de la Commission européenne, adoptée le 1er avril par 427 voix pour, 221 contre et 14 abstentions.

Comme nous l’avons mentionné, cette directive ressemble à une liste de souhaits des entreprises, alignée sur le discours politique américain et abandonnant la législation fondée sur des données probantes. « Réduire les formalités administratives » signifie en réalité exclure 80 % des entreprises du champ d’application de la directive sur le devoir de vigilance. « Simplifier les règles » est synonyme de réduction des normes législatives.

La directive Omnibus percute notamment deux cadres réglementaires : celui sur le le reporting de durabilité (Corporate Sustainability Reporting Directive, ou Csrd), qui impose aux entreprises des obligations accrues de transparence sur leurs impacts environnementaux et sociaux ; celui sur le devoir de vigilance (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, ou Cs3d). Les éliminer permettrait aux entreprises de s’exonérer des plans de transition climatique ; faciliterait le greenwashing ; supprimerait l’obligation de surveillance en temps réel tout au long des chaînes d’approvisionnement. C’est finalement un report d’un an pour la Cs3d, de deux ans pour la Csrd, qui ont été votés par les députés européens le 3 avril, par 531 voix pour, 69 contre et 17 abstentions. Cela signifie que ces législations, même très affaiblies, n’auront pas d’impact avant un an ou deux. Mais c’est un moindre mal.  

Un plan d’action pour l’intelligence artificielle

En ce qui concerne les besoins réels des travailleurs, Eurocadres – dont l’Ugict-Cgt est membre – a discuté avec la commissaire Roxana Mînzatu de la feuille de route pour des emplois de qualité. Aux côtés d’autres partenaires sociaux, les syndicats ont souligné la nécessité d’une législation sur les risques psychosociaux, le management algorithmique, le télétravail et le droit à la déconnexion. Cette feuille de route, dont la publication est prévue au quatrième trimestre 2025, reste malheureusement un concept vague, sans véritable contenu.

La Commission est prête à progresser sur la question de l’intelligence artificielle (IA), avec un plan d’action dévoilé ce mois-ci. Promettant jusqu’à 200 milliards d’euros d’investissements, la création de cinq gigafactories et de treize usines d’IA dans l’Union européenne, cette initiative fait suite à un important travail législatif. Elle sera suivie d’autres propositions sur l’IA dans les prochains mois. Sachant qu’il s’agit d’utiliser ces technologies dans les services publics et la santé, nous saluons l’un des principes fondamentaux de la Commission, à savoir l’utilisation de modèles fiables et centrés sur l’humain. Nous notons toutefois le manque de précisions sur plusieurs points clés.

Centres de données : un impact environnemental négligé

Le premier mandat de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, était axé sur l’introduction du Pacte vert pour l’Europe. Ce dernier a, depuis, été considérablement revu à la baisse avec le nouveau programme de « simplification ». Il fait l’objet d’attaques constantes de la part de l’extrême droite et du Parti populaire européen (Ppe, droite). Conformément au nouveau mantra de la compétitivité avant tout, l’impact environnemental qu’aura le triplement de la capacité des centres de données européens d’ici à 2035 est clairement négligé dans le plan d’action sur l’IA. La « durabilité » n’y est mentionnée qu’une fois. Aucune voix ne se fait clairement entendre pour concrétiser les ambitions d’une réduction des émissions de carbone : il est ainsi prévu que « les projets de centres de données qui répondent aux exigences en matière d’efficacité des ressources, notamment en matière d’efficacité énergétique et hydrique, de circularité et d’innovation, bénéficieront d’une procédure d’autorisation simplifiée, tout en maintenant les garanties environnementales et en protégeant la santé humaine ».

Comme l’a souligné Eurocadres l’année dernière, les systèmes d’IA ne devraient pas être exemptés d’objectifs de durabilité ni de potentielles sanctions. Un rapport de 2024 cite des estimations de l’Agence internationale de l’énergie (Iea) selon lesquelles la consommation énergétique des centres de données alimentant l’IA doublera au cours des deux prochaines années, consommant autant d’énergie que le Japon. Ces centres de données et systèmes d’IA consomment également de grandes quantités d’eau pour leurs opérations et sont souvent situés dans des zones déjà confrontées à des pénuries d’eau.

Vers un projet « Omnibus » sur l’IA

La transparence, la sécurité des travailleurs et la protection contre les risques, ainsi que la responsabilisation en cas de lacunes constatées, doivent être des éléments centraux du développement futur de l’IA dans une Europe en pleine mutation. Or, ces éléments sont absents du plan d’action proposé. Un projet de loi « Omnibus » sur la règlementation existante de l’intelligence artificielle a également été annoncé pour la fin de l’année, dans l’intention évidente de réduire les protections législatives.

Les nécessités de formation pour saisir les opportunités offertes par l’IA sont heureusement soulignées. Mais, une fois de plus, nous répétons que, sans un droit contraignant à la formation des salariés, gratuitement et pendant les heures de travail, les déficits de compétences déplorés par les employeurs continueront de se creuser.

Les entreprises ont de quoi se réjouir, comme en témoigne l’annonce, par le plan d’action, d’investissements à hauteur de 200 milliards d’euros, sans référence à des emplois de qualité, à des marchés publics équitables et efficaces, sans critères clairs pour éviter l’allocation de fonds publics aux entreprises qui contournent les règles environnementales. Une illustration supplémentaire de la direction que prend cette Commission.

Nayle Glaise, présidente d’Eurocadres