Au nombre des plus illustres figures féminines de l’histoire du monde, Cléopâtre, ultime souveraine d’Égypte (51-30 avant J.-C.) demeure sans conteste la plus fascinante. Sous le titre « Le mystère Cléopâtre », l’Institut du monde arabe lui consacre une exposition qui fera date.
Grâce à un ensemble de traces et de signes, constitué de peintures, de sculptures, de manuscrits, d’objets archéologiques, de monnaies, de bijoux et de somptueux costumes, de documents photographiques et de projections de films, la tentative d’approche à bout touchant de cet être mythique s’avère pertinente à l’extrême.
César mort, Antoine s’éprend de Cléopâtre
Cléopâtre, née à Alexandrie en 69 avant J.-C., épouse, selon la règle en vigueur, son frère Ptolémée XIII, avec lequel elle règne à partir de 51. Chassée du trône, elle y est rétablie en 46 par César. Devenue sa maîtresse, elle donne le jour à Césarion (futur Ptolémée XV). Cette union l’aide à défendre l’indépendance formelle du royaume d’Égypte, alors sous protectorat romain, et menacé d’annexion pure et simple. Après la mort de César, elle poursuit cette politique en séduisant le frère d’armes de César, Marc Antoine.
Elle lui fait partager son rêve d’un vaste empire oriental. Marc Antoine l’épouse, sans pour autant répudier Octavie, sœur d’Octave, petit-neveu de César. Avant de devenir empereur sous le nom d’Auguste, Octave écrase Antoine et Cléopâtre lors d’une bataille navale à Actium, en Grèce, confirmant l’hégémonie romaine sur le bassin méditerranéen. Marc Antoine se suicide, de même que Cléopâtre, en se faisant mordre délibérément par un serpent venimeux.
Sorcière exotique ou victime offerte en pâmoison
On comprend comment une telle histoire, d’amour et de pouvoir dans l’Antiquité, à l’échelle transcontinentale, se perpétue dans l’imaginaire universel. L’exposition a pour but d’éclairer ce « mystère Cléopâtre » en fournissant des clés historiques. L’Égypte, contrée riche et fertile, est pour Rome un prodigieux objet de convoitise, d’autant plus qu’elle est entre les mains d’une femme, ici dépeinte en cheffe d’État avisée, dotée d’un fort sens politique.
Femme cultivée, à l’intersection des civilisations égyptienne, hellénistique et romaine, Cléopâtre pouvait être envisagée de plusieurs façons. Elle est successivement sorcière exotique pour les vainqueurs – en l’espèce les historiens zélateurs d’Octave-Auguste –, femme fatale et vamp’ orientale pour la vision patriarcale, victime offerte en pâmoison pour l’esprit romantique, et finalement, de nos jours, héroïne antique du féminisme.
Cléopâtre aura eu les traits de dizaines d’actrices
On ne sait, en vérité, si Cléopâtre était belle. Son profil, sur des pièces de monnaie d’époque, n’en apporte aucune preuve. Belle, il fallait pourtant que le fut cette tête couronnée pour séduire César, réputé bisexuel. Sa légende de séductrice a traversé plus de deux millénaires. Pascal, dans ses Pensées, n’a-t-il pas noté ces mots fameux : « Le nez de Cléopâtre, s’il eut été plus court, toute la face de la terre aurait changé » ?
De la Renaissance au XVIIIe siècle, sous le sceau d’Eros et Thanatos, peintres et sculpteurs ont rivalisé dans l’invention de sa vénusté tragique. Le relais sera assuré, haut la main, par les peintres du XIXe, en pleine égyptomanie. Viendra ensuite le théâtre, avec une Cléopâtre interprétée par Sarah Bernhardt en 1890, puis le cinéma. D’Hollywood à Cinecittà, Cléopâtre aura eu les traits de dizaines d’actrices, Liz Taylor en tête, dans le film de 1963 de Joseph Mankiewicz, projeté en fin de parcours. Mode, publicité, bande dessinée ne sont pas en reste. Des États-Unis, notamment, parviennent des œuvres destinées à bannir, enfin, le regard mâle sur le corps sacralisé de Cléopâtre.
- Jusqu’au 11 janvier 2026, à l’Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, place Mohammed-V, Paris 5e.