Cet immense Néerlandais – immense également par la taille – était, dans les années 1960, l’un des rares Européens qui donnait du fil à retordre aux Soviétiques. De temps à autre, il terminait même devant eux dans un tournoi international. Mais Johannes Hendrikus Donner, qui exigeait qu’on l’appelle Hein « et rien d’autre » fut également un grand écrivain. En 1986 il publia un dernier livre, Le Roi, traduit en anglais en 1997 dans une édition limitée à 750 exemplaires. Il était cher, mais je ne regrette pas son acquisition. De temps en temps, je le parcours et je savoure la prose géniale de Hein Donner.
La révélation de Hoogeveen
Johannes Hendrikus Donner est né le 6 juillet 1927 à La Haye, aux Pays-Bas. Après ses études secondaires, il entre à la faculté de droit. Hélas, au grand dam de ses parents, il passe ses jours et ses nuits à jouer aux échecs. Dans les années 1950, il enregistre des victoires encourageantes. « À cette époque, écrira-t-il, personne ne rêvait d’une carrière de joueur professionnel », rappelant que même Max Euwe, qui avait été champion du monde de 1935 à 1937, disputait des tournois « qui offraient des petites cuillères en premier prix.»
Pour Hein Donner, le vrai déclic va se produire à partir des années 1960. En 1963, âgé de 36 ans, il remporte le tournoi de Hoogeveen aux Pays-Bas, devant Youri Averbakh et David Bronstein (vice-champion du monde) ainsi que devant huit des meilleurs joueurs du moment.
Sanctionné pour son soutien au Nord-Vietnam
En 1967, devançant le Soviétique Tigran Petrossian, le champion du monde en titre, Donner remporte un très fort tournoi à Venise. À son retour au pays, il annonce en direct à la télévision qu’il versera l’intégralité de ses gains à la Croix-Rouge au Nord-Vietnam. Il explique qu’il ne sera pas attristé si son argent sert à acheter des armes, car, ajoute-t-il, les Américains n’ont rien à faire au Vietnam.
Sa position et ses propos à l’encontre d’un pays ami des Pays-Bas choquent. En conséquence, l’Elsevier Weekblad, un hebdomadaire néerlandais pour lequel il animait une chronique d’échecs, met un terme à sa collaboration.
Rétif aux injonctions sportives
Le personnage assume parfaitement son côté forte tête : « Je n’ai pas l’habitude d’écouter les autres, dit-il, la plupart du temps, c’est moi qui parle ! » Il le montre en 1976, peu avant les Olympiades de Haïfa (Israël), où l’équipe des Pays-Bas, redoutable sur le papier, affiche de sérieuses ambitions.
Pour la première fois, on fait appel à un encadrement important. Des séances de travail intenses ainsi qu’une mise à niveau physique sont prévues pour l’ensemble des membres de l’équipe. Hein Donner rechigne à cette discipline, et fait preuve d’une très mauvaise volonté. Il a presque 50 ans, ce n’est plus un gamin… Invité à courir comme les autres, il explique : « Désolé les gars, le seul sport que j’aime et que je pratique, c’est la conversation. »
Cloué par une attaque cérébrale
Le 24 août 1983, le champion subit une attaque cérébrale massive qui le laisse en partie paralysé. Il doit désormais se déplacer en chaise roulante. Sa carrière de joueur est terminée. « Mon monde est soudain devenu tout petit, écrira-t-il. Mais un joueur d’échecs est habitué à cela. »
Il entreprend alors l’écriture de son ultime ouvrage, Le Roi, une compilation remaniée de ses meilleurs papiers parus dans l’Elsevier Weekblad, De Tijd, Avenue, et dans d’autres publications échiquéennes néerlandaises. Deux de ses amis, Tim Krabbe et Max Pam, lui rendent souvent visite.
Comme lorsqu’il défendait une position épouvantable sur l’échiquier, le guerrier, grièvement blessé, se bat. Et il ne cède pas un pouce de terrain. Ils raconteront que Hein tapait à la machine avec un doigt. Il s’est éteint le 27 novembre 1988. À Amsterdam, dans un parc, un petit pont porte son nom.
Éric Birmingham
Čeněk Kottnauer-Hein Donner
Amsterdam, 1950. Gambit dame
1.c4 e6 2.Cc3 d5 3.d4 c6 4.e3 Cf6 5.Cf3 Cbd7 6.Fd3 dxc4 7.Fxc4 b5 8.Fd3 Fb7 9.De2 (9.e4 b4 10.Ce2 c5 11.e5 Cd5 12.0–0 Tc8 13.dxc5 Fxc5 14.Cg3 Db6 est la partie Castillo-Wade, Venise, 1950.) 9…a6 10.e4 c5 11.d5 (11.e5?! donne la case d5, 11…Cd5) 11…c4 12.Fc2 exd5 13.e5 (13.exd5+!? De7 14.Fe3 0–0–0 15.a4 Cxd5 16.axb5 Cxc3 17.bxc3 axb5 18.0–0, les blancs ont les meilleures chances.) 13…Ce4! 14.0–0 (Si: 14.Cxe4 dxe4 15.Fxe4 Fxe4 16.Dxe4 Fb4+ 17.Fd2 Fxd2+ 18.Cxd2 0–0 19.0–0? Cxe5!) 14…Cdc5 15.Td1 Cxc3 16.bxc3 Dc7 17.Ff4? (17.a4!? bxa4 18.Fxa4+ Cxa4 19.Txa4, avec l’idée Fa3 et Cd4.) 17…Ce6! 18.Fg3? (18.Fe3) 18…g6 19.De3 0–0–0 20.a4?! b4! 21.cxb4 Fxb4 22.Cd4? Fc5 23.Cxe6 (23.Tab1) 23…fxe6 24.De2 Dc6! (Menace …d4.) 25.Df1 d4 26.Tac1 d3 27.Fb3?
(Voir diagramme)
27…cxb3! 28.Txc5 Dxc5 29.Tc1 Dc2! (Kottnauer abandonne, si: 30.Txc2+ dxc2 31.Dc4+ Rb8 32.h4 Td1+ 33.Rh2 c1D–+) 0–1
Raymond Keene-HeinDonner Jan Hein
Match Pays-Bas – Angleterre, Londres, 1971. Catalane
1.d4 Cf6 2.c4 e6 3.Cf3 d5 4.g3 dxc4 5.Da4+ Cbd7 6.Fg2 a6 7.Dxc4 c5 8.Dc2 b6 9.0–0 Fb7 10.Cc3 b5 11.Fg5 Tc8 12.dxc5 Fxc5 13.a3 h6 14.Fd2 (14.Ff4!?) 14…0–0 15.Tfd1 De7 16.Ce1 Fxg2 17.Rxg2 Cb6 18.Cd3 Fd6 19.Db3 Cc4 20.a4? (20.Tac1) 20…Ca5! 21.Da2 (21.Dc2 b4 gagne le Cavalier c3.) 21…b4 22.Cb1?? (La seule case de fuite pour le cavalier, mais il prend l’unique case de retraite pour la dame.) 22…b3 0–1
L’une des dernières parties du Grand Maître néerlandais
Hein Donner (2460)-Theo Klauner (2200)
Zonal, Marbella, 1982. Défense nimzo-indienne
1.d4 Cf6 2.c4 e6 3.Cc3 Fb4 4.e3 c5 5.Fd3 Cc6 6.Cge2 d5 7.a3 dxc4 8.Fxc4 Fxc3+ 9.bxc3 0–0 10.0–0 cxd4 11.cxd4 b6 12.Fb2 Fb7 13.Cg3 Ce7 14.Te1 Ce4 15.Cxe4 Fxe4 16.a4 Cf5 17.f3 Fc6 18.e4 Cd6 19.Ff1 Dg5 20.Dc1 Dxc1 21.Texc1 Tac8 22.Fa3 Tfd8 23.Fxd6! Txd6 24.Fa6! Tc7 25.Fb5 a6 26.d5! Td8 (Sur: 26…axb5 27.axb5! exd5 28.exd5 Txd5 29.Txc6+- menace mat en a8 et attaque la Tour c7 et sur: 26…exd5 27.exd5 Txd5 28.Txc6+-) 27.Txc6 (Les Noirs abandonnent. 27…Txc6 ((27…Ta7 28.Ff1+-)) 28.Fxc6+-) 1–0
Le problème du mois
Étude de H. Rinck, 1917
Les blancs jouent et gagnent.
La solution.
Solution : 1.Dc7+ (le premier coup est facile!) 1…Ra8 2.Da5+! Rb7 (sur : 2…Rb8 3.Db6+ Rc8 ((3…Ra8 4.Cc7#)) 4.Dc7#) 3.Cc5+! (en revanche, ce coup est difficile à trouver.) 3…Rb8 (sur : 3…Rc8 4.Da8++-. Et après : 3…Rc6 4.Da4++-) 4.Db6+ Rc8 (4…Ra8 5.Db7#) 5.Db7+ Rd8 6.Rd2!! (Zuzwang, si : 6…De7 7.Db8#) 6…De5 7.Dd7# 1–0