Magie noire

« Ne pas croire en la magie, peut amener un esprit simple à croire à un gouvernement et au monde des affaires. » Tom Robbins (1932-2025), écrivain américain

Un après-midi de l’année 1933, en Espagne, Jose Sanz Aguado disputait une partie d’échecs face à Ortueta Esteban Martin. Avec un bon pion d’avance, dans une Défense Française qu’il avait choisi de jouer avec les pièces noires, Jose Sanz Aguado pouvait envisager la finale avec optimisme. Au 31e coup, le futur champion d’Espagne offrait sa Tour pour un pion. Quatre coups plus tard, par sa promotion, l’un de ses pions apportait la victoire. La combinaison jouée dans cette finale est l’une des plus spectaculaires et des plus originales de l’histoire du jeu d’Échecs.

Olympiades de Prague

Jose Sanz Aguado est né le 20 novembre 1907 à Barcelone. On connait peu ses débuts dans l’univers de la compétition. Mais, à partir de 1930, Jose Sanz Aguado était l’un des meilleurs joueurs espagnols. En 1931, il fait partie de la sélection nationale aux Olympiades d’Échecs de Prague. Il se bat et il perdra une jambe lors de la guerre civile qui ravage son pays entre 1936 et 1939. Comme de nombreux combattants républicains, il trouve refuge en France où il demeurera quelque temps.

Champion d’Espagne

Il dispute le championnat d’Espagne de 1943. À l’issue de l’épreuve, il doit jouer un match de départage face à Ramon Rey Ardid (1903-1988). Jose Sanz Aguado s’impose après un long combat : quatre victoires, trois défaites et trois nulles. Les départages en cadence semi-rapide ou rapide n’existent pas à l’époque, ils se disputent en cadence lente (2 h 30 pour 40 coups, puis 16 coups par heure). Jusqu’en 1950, il participera à de nombreux tournois, dont deux forts tournois internationaux à Gijón en 1946 et en 1948. Ces deux mêmes années, il représente à nouveau l’Espagne face à une sélection argentine. En ces deux occasions, les matchs se disputeront par radio, les coups étaient transmis par télégraphe sans fil. Ce procédé était terriblement éprouvant pour les nerfs et épuisant, car le délai d’attente entre les coups était très long.

Journaliste et écrivain

En 1934, Jose Sanz Aguado a fondé « El ajedrez espanol ». Après deux années d’existence, la publication s’arrêtera. Il a également écrit deux ouvrages, l’un sur le championnat d’Espagne 1944-1945 ; l’autre sur le prodige américain Paul Morphy, publié en 1957.

Âgé de soixante-deux ans, Jose Sanz Aguado est mort à Madrid en 1969.

À Madrid, lors d’une ronde d’un tournoi disputé en 1933 (pour certaines sources : 1934), un participant va offrir au monde des Échecs un véritable tour de magie. Paradoxalement, les quatre derniers coups noirs, incroyablement puissants, ne furent que des coups joués avec un pion, l’élément le plus faible sur un échiquier.

Ortueta Esteban Martin – Sanz Aguado Jose

Madrid, 1933

Défense Française

1.e4 e6 2.d3 (un coup intéressant, Fischer et même Kasparov l’ont essayé contre la Défense Française.) 2…d5 3.Cc3 (3.Cd2 !?) 3…Cf6 4.e5 Cfd7 5.f4 Fb4 6.Fd2 0–0 7.Cf3 f6 8.d4 c5 9.Cb5 fxe5 10.dxe5 Txf4! 11.c3 Te4+ 12.Fe2 Fa5 (les Noirs ont volé un pion!) 13.0–0 (13.Cd6!) 13…Cxe5 14.Cxe5 Txe5 15.Ff4 Tf5 16.Fd3 Tf6 17.Dc2 (en compensation pour les deux pions de retard, les Blancs ont un bon avantage de développement.) 17…h6 18.Fe5 Cd7! (il faut rendre du matériel. 18…Txf1+ était très dangereux, par exemple : 19.Txf1 Cd7 20.Fh7+ Rh8 21.Fxg7+! Rxg7 22.Dg6+ Rh8 23.Cd6 Ce5 24.Cf7+ Cxf7 25.Txf7, suivi du mat en g7.) 19.Fxf6 Cxf6 20.Txf6! (Ortueta doit continuer d’attaquer.) 20…Dxf6 21.Tf1 De7 22.Fh7+ Rh8 23.Dg6 Fd7 24.Tf7 Dg5 25.Dxg5 hxg5 26.Txd7 Rxh7 27.Txb7 Fb6 (un fort centre et un pion de plus, les Noirs ont une excellente finale.) 28.c4 dxc4?! (28…Rg6!? était plus simple.) 29.Cc3 Td8 30.h3 Td2 31.Ca4 (une position désormais historique)

(voir diagramme)

31…Txb2!! 32.Cxb2 (les Blancs n’ont pas vraiment le choix.) 32…c3 33.Txb6 (forcé car sur : 33.Cd3? c4+ 34.Txb6 ((34.Rf1 cxd3 35.Re1 Fe3!–+)) 34…cxd3! 35.Td6 c2 36.Txd3 c1D+ 37.Rh2 Dc2–+ et il n’y aura pas de forteresse, car le pion a2 va tomber.) 33…c4! (empêche Cd3, tandis que la menace est 34…c2.) 34.Tb4 (34.Cxc4 c2 35.Tc6 c1D+ 36.Rh2 e5–+ car après : 37.Cxe5 Df4+ 38.Rh1 Dxe5–+) 34…a5!! (les trois pions dominent les deux pièces blanches ! Après : 34…cxb2? 35.Txb2+-; et sur : 34…c2?? 35.Txc4+-) 35.Cxc4 c2 (au prochain coup, le pion c2 va à promotion.) 0–1

Étude de B. Horwitz, 1884

Les Blancs jouent et gagnent