Félicitons tout d’abord chaleureusement nos collègues belges qui, grâce à trois jours de grève consécutifs, exercent une pression considérable sur le gouvernement de coalition dite « Arizona », agglomérant libéraux, nationalistes, socialistes, centristes et chrétiens-démocrates. Partout dans le pays, les travailleuses et travailleurs envoient un message clair : « NON à l’austérité, NON aux coupes dans les pensions et NON à la guerre contre les droits sociaux ».
Sur le front de l’intelligence artificielle, après des mois de réunions avec les eurodéputé·es et leurs assistant·es, la commission EMPL (emploi et affaires sociales) du Parlement a fait siennes les revendications d’Eurocadres et d’autres syndicats en demandant une directive sur le management algorithmique, pour s’opposer à l’administration Trump et aux géants de la tech. Avec 41 voix pour, dont 11 délégué·es du Parti populaire européen (PPE, droite) sur 16, le vote d’hier a répondu au souhait des organisations de salarié·es. Eurocadres, la Confédération européenne des syndicats (CES), la Fédération syndicale européenne des services publics (EPSU) et IndustriAll Europe avaient notamment cosigné une lettre appelant à fixer d’urgence des normes minimales.
« Victimes d’abus de la part des algorithmes »
Malgré la volonté affichée de la Commission européenne de déréglementer, la prise de position de la commission EMPL, compétente sur ce sujet, est un point d’appui pour protéger les cadres. La directive européenne sur le travail des plateformes (Platform Work Directive) fournit déjà un cadre pour encadrer l’utilisation des algorithmes sur le lieu de travail. Toutefois, de par sa portée, elle ne concerne que les travailleuses et travailleurs des plateformes (dont le nombre a été estimé en 2024 à 43 millions).
« Nous sommes face à une hiérarchie manifeste entre les catégories de travailleuses et travailleurs, a déclaré Eurocadres, en réaction au vote : ceux et celles qui bénéficient d’une protection, et ceux et celles qui sont victimes d’abus de la part des algorithmes. L’appel du Parlement en faveur de cette directive est indispensable pour garantir aux cadres, aux managers, aux développeurs et aux organisations des règles prévisibles et harmonisées. »
Ce rapport devrait accroître la pression sur la vice-présidente de la commission, la socialiste roumaine Roxana Mînzatu, dont la lettre de mission incluait l’an dernier des mesures relatives au management algorithmique. Le Parlement européen devrait se prononcer sur ce dossier en séance plénière le 15 décembre.
Tentative pitoyable d’amadouer certaines des entreprises les plus riches du monde
Malheureusement, ce mois-ci, l’attraction de l’extrême droite s’est révélé trop forte pour le démocrate-chrétien allemand Manfred Weber, figure de proue des conservateurs au Parlement européen. Une majorité pro-européenne, fondement du fonctionnement des institutions depuis des décennies, et socle de l’élaboration de la législation, a été sacrifiée par le PPE afin que la droite puisse jouer le jeu de ses nouveaux alliés : l’extrême droite, y compris dans ses franges ouvertement fascistes.
La raison de cette décision historique et dangereuse ? Les grandes entreprises refusent le devoir de vigilance et les plans de transition climatique. Dans une tentative pitoyable d’amadouer certaines des entreprises les plus riches du monde (et certains des plus fervents soutiens de Trump), le groupe de Weber s’est aligné sur l’extrême droite pour charcuter les textes des directives CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) et CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Sous couvert de « simplification », le PPE et l’extrême droite contribuent ainsi à exonérer le patronat de toute responsabilité tandis que celles ceux qui n’en ont pas, c’est-à-dire les travailleuses et travailleurs, les citoyennes et citoyens, se retrouvent sans protection. Eurocadres et l’ensemble du mouvement syndical sont clairs : affaiblir la protection sociale et environnementale ne rendra pas l’Europe plus compétitive. Ce n’est pas la voie de la prospérité.
La situation se dégrade pour les soignantes et soignants
Il y a deux semaines, l’Agence européenne sur la santé et la sécurité au travail (EU-OSHA) a confirmé ce que les syndicats dénoncent depuis des années : les travailleuses et travailleurs « de première ligne » dans la santé et les services sociaux, sont exposés à des risques psychosociaux. L’agence examine onze facteurs de risques majeurs et détaille les difficultés rencontrées dans un secteur où 72 % du personnel déclare avoir affaire à des patientes et patients « difficiles » et où près d’un·e sur deux a des contraintes horaires.
Constatant que, globalement, « la mauvaise santé mentale des travailleuses et travailleurs européens a fréquemment une cause professionnelle », le rapport en analyse les facteurs organisationnels, les conditions de travail et l’environnement social au travail. Les données montrent que dans ce secteur, les cadres sont nettement plus exposé·es que dans d’autres domaines d’activité. Les contraintes horaires ont augmenté de 7 % entre 2019 et 2024, l’exposition à la violence et aux abus a doublé et près d’un quart des personnes interrogées souffrent d’un manque d’autonomie. Compte tenu de la forte dimension genrée de ce secteur, les travailleuses y sont plus touchées que dans d’autres professions.
L’EU-OSHA a formulé plusieurs recommandations, notamment des évaluations complètes des risques, la création de réseaux de soutien, la garantie d’effectifs suffisants et d’une participation active des travailleuses et travailleurs, plus d’autonomie, de l’information et des formations, et l’utilisation des fonds disponibles. Cependant, nous savons que seule une législation européenne permettra d’instaurer un véritable changement. Pour limiter les risques psychosociaux, il faut obliger les employeuses et employeurs à prendre au sérieux ces risques et à les réduire lorsqu’ils existent. Comme le souligne l’EU-OSHA, il est de plus en plus urgent d’agir.
