Le sommeil occupe un tiers de l’existence humaine. Le mystère qui l’entoure a constitué de tous temps une hantise figurée, depuis au moins l’Antiquité. Le Musée Marmottan Monet, sous le titre « L’empire du sommeil » propose sur ce thème une exposition d’envergure, pour laquelle ont été sollicitées maintes institutions prestigieuses, nationales et internationales, ainsi que des collections privées.
L’étendue et la diversité des représentations
Cent trente pièces – peintures, sculptures, dessins, objets, documents scientifiques – sont versées au dossier, prouvant l’étendue et la diversité des représentations et des interprétations du sommeil à travers les âges. Il n’est pas indifférent que l’une des deux commissaires de l’exposition soit la neurologue et historienne des sciences Laura Bossi.
Une sélection d’œuvres anciennes et contemporaines
Conformément à la vocation du musée, l’exposition se concentre sur le « long dix-neuvième siècle », soit des Lumières à la Grande Guerre, en convoquant également une sélection d’œuvres anciennes et contemporaines, « qui éclairent la fascination que provoque le sujet et son étonnante persistance, au-delà des évolutions philosophiques et scientifiques ». Les têtes de chapitres sont très parlantes.
Rien n’est donc omis du mystère des yeux fermés
Se succèdent, en effet, « Figures du sommeil » (dans la Bible), « Doux sommeil » (bonheur pur), « Hypnos et Thanatos » (le sommeil et la mort sont frères), « Le sommeil érotique » (Amour dévoilé et belles endormies), « Les portes du rêve », « Le sommeil troublé » (quand la raison s’absente) et « Au lit !». Rien n’est donc omis du mystère des yeux fermés commun à l’humanité tout entière. C’est les yeux grands ouverts que nous contemplons les merveilles artistiques offertes par « L’empire du sommeil ».
Vénus semble sculptée dans les bras de Morphée
Il n’est que de citer, par exemple, de l’atelier de Simon Vouet (1590-1649) la toile intitulée Vénus dormant sur des nuages, où la déesse alanguie, quasi nue, semble sculptée dans les bras de Morphée qu’évidemment l’on ne voit pas. Morphée est un homme, fils d’Hypnos, dieu du Sommeil et de Nyx, qui règne sur la Nuit. Nombreuses sont les figures mythologiques et bibliques. Ingres (1780-1867) peint Jupiter et Antiope. La silhouette sombre du maître de l’Olympe surplombe la femme assoupie qu’il va prendre de force. Antiope apparaît, là, pour paraphraser Racine dans Britannicus, « sans ornement, dans le simple appareil d’une beauté » que le dieu lubrique va arracher au sommeil.

Femmes le plus souvent vues dans l’abandon nocturne
Du côté biblique, on peut noter La Résurrection de la fille de Jaïre (1878), de Gabriel von Max. Jésus observe la jeune trépassée, dont le chaste visage se détache sur sa couche immaculée. Les femmes sont le plus souvent vues, à toutes les époques, dans l’abandon nocturne. Félix Vallotton, en 1897, peint Femme nue assise dans un fauteuil. Elle a les yeux clos, tandis que Gabriel von Max, encore, a imaginé Juliette Capulet le matin de son mariage (1874). Elle dort, tout habillée …
De Delacroix, un chef-d’œuvre de savante simplicité
De Carolus-Duran (1838-1917), on découvre, par contraste, L’homme endormi (1861), avec toute sa barbe, chemise blanche et bretelles. La toile s’arrête à sa taille, en plan américain comme on dit au cinéma. Jean Cocteau, en 1929, a réalisé, d’un trait pur et d’une main ferme, Vingt-cinq dessins d’un dormeur. De Delacroix, voici un chef-d’œuvre de savante simplicité, Le lit défait (1824).
« Le sommeil de la Raison engendre des monstres »
Rêves et cauchemars sont cités à comparaître dans ce vaste panorama comparatif. On n’oublie pas que « le sommeil de la Raison engendre des monstres », ainsi que disait Goya, dont on peut justement admirer Le sommeil (El sueno). Füssli (1741-1825), expert en préromantisme fantastique, est présent avec L’incube s’envolant, laissant deux jeunes femmes (1780), ainsi que Maximilian Pimer, dont La Somnambule (1878), en longue chemise de nuit, rase les murs de tout son être éperdu. Et Courbet, dont La voyante ou la somnambule a les yeux ouverts sur son monde secret. Ce ne sont que quelques mentions, sur un ensemble passionnant d’une infinie richesse de sens.
- Jusqu’au 1er mars 2026, au Musée Marmottan Monet, 2 rue Louis Boilly, Paris 16e.
