Sous l’égide de la Réunion des musées nationaux (RMN), le Grand Palais et le Centre Pompidou ont associé leurs forces pour une exposition d’envergure qu’on pourrait dire monstre, au meilleur sens du terme. Il s’agit, purement et simplement, de ressusciter, en une dizaine de chapitres, les parcours de deux artistes d’envergure liés par l’amour, la Franco-Américaine Niki de Saint Phalle (1930-2002) et le Suisse Jean Tinguely (1925-1991), sur lesquels veilla constamment le Suédois Pontus Hultén (1924-2006), conservateur de musée qu’on peut dire d’avant-garde, lui-même artiste en ses débuts.
Pontus Hultén a étudié l’histoire de l’art à Stockholm. C’est à Paris, en 1954, qu’il rencontre Jean Tinguely, lequel fait deux ans plus tard la connaissance de Niki de Saint-Phalle, avec qui il va partager un atelier impasse Ronsin, dans le 15e arrondissement de Paris. L’amour entre ces deux-là éclot en 1960. Tinguely présente sa compagne à Pontus Hultén, lequel sera, en 1973, appelé à Paris pour la préfiguration du Centre Pompidou, avant de devenir le premier directeur du Musée national d’art moderne dans cette institution inaugurée en 1977. Il s’attachera à y promouvoir les travaux de ses deux amis.
Sous le signe d’un « anarchisme joyeux »
C’est sur deux niveaux, dans l’aire immense du Grand Palais, que s’effectue la visite de l’exposition, dont le but avéré n’est autre que la rétrospective étayée d’une aventure commune qui rappelle de grandes heures de l’art moderne du XXe siècle, sous le signe, de ce que Sophie Duplaix, l’une des commissaires, qualifie d’« anarchisme joyeux ». D’importants prêts d’institutions françaises et étrangères, ainsi que la riche collection du Centre Pompidou – films d’archives, photographies, correspondance de lettres-dessins – permettent, au milieu d’œuvres en quantité, de replonger dans un monde régi par l’imagination débridée des deux artistes.
On découvre ou redécouvre, par exemple, ce qui eut lieu en 1961, sur l’initiative de Pontus Hultén, dans l’exposition « Rörelse i konsten » (Le mouvement dans l’art), au Moderna Museet de Stockholm. Y furent montrées des sculptures de Tinguely et des fameux tableaux-tirs de sa compagne, exécutés « par balles », à la carabine 22 long rifle. En 1966, c’était, toujours à Stockholm, la réalisation formidable de Hon en katedral (« Elle, une cathédrale »).

Colossale déesse-mère accueillante
Il s’agit d’une Nana monumentale, édifiée en quelques semaines, représentée allongée et enceinte, s’ouvrant par le vagin. Les visiteurs et visiteuses découvrent, à l’intérieur, tout un monde animé, avec des sculptures, une salle de cinéma, une galerie de fausses peintures, un toboggan et un bassin de poissons rouges. L’œuvre, comme prévu, sera détruite à la fin, après un succès aussi colossal que cette accueillante déesse-mère.
Entre 1969 et 1994, dans une clairière de Milly-la-Forêt, Jean Tinguely travaille en secret à l’édification du Cyclop, soit la tête en effet cyclopéenne d’un « monstre » de 350 tonnes qui sera inaugurée en grande pompe par le président François Mitterrand. Dûment restauré, ce Cyclop trône encore.
Ce ne sont là que des exemples de la créativité insolente et partageuse de Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle, sous la houlette fervente de Pontus Hultén, que révèle cette exposition. Elle abonde en Nanas de toutes sortes et met en marche d’impressionnantes « machines célibataires » de Tinguely, qui ne produisent rien, sinon leur être, en un puissant mouvement de poulies et de cardans en métal, façonné par un poète ingénieur et mécanicien.
- Jusqu’au 4 janvier 2026, dans les galeries 3 et 4 du Grand Palais, 17 avenue du Général-Eisenhower, entrée square Jean-Perrin.
