En 1939, Alfred Hitchcock, auréolé de gloire sur ses terres britanniques, foule le sol américain. Il répond à l’invitation du producteur David O. Selznik, grand manitou du film monstre de cette époque (et peut-être même de tous les temps), Autant en emporte le vent. En ligne de mire, l’adaptation de Rebecca, le flamboyant roman gothique de Daphné du Maurier.
Phénomène éditorial dès sa parution en 1938, Rebecca fait aujourd’hui référence dans l’histoire de la littérature anglaise. Et figure, haut placé, dans les listes des meilleurs polars de tous les temps… Le pitch, pour rappel… La jeune et timorée narratrice (on ne saura jamais son prénom), épouse un riche veuf, Maxim de Winter. Le couple rejoint Manderley, le manoir familial du mari, au cœur des Cornouailles. Un an après sa mort mystérieuse, l’ombre maléfique de Rebecca, la première Mme de Winter, suinte de tous les murs de la demeure. Mme Danvers, l’implacable gouvernante, transie de dévotion – d’amour, quand on lit entre les lignes – pour Rebecca, déverse sa haine envers la nouvelle épouse, coupable de profaner les lieux. La vérité sur la mort de Rebecca se consumera dans des flammes purificatrices…
Je m’appelle Judith Anderson et beaucoup d’entre vous connaissent mon visage. Pour les plus cinéphiles, il est même entré au panthéon des grands méchants du grand écran… Mrs. Danvers, c’était moi… Ainsi résonnent les premiers mots de Rebecca, dans l’ombre d’Hollywood. Michel Moatti, franc-tireur du polar hexagonal, tant chacun de ses romans ne ressemble à aucun de ses précédents, a eu la belle idée de confier un premier rôle à celle qui, à l’écran, n’en a obtenu que des seconds. Celui de la sinistre Mrs. Danvers a enluminé sa carrière… C’est donc à travers l’affect de Judith Anderson (1897-1992) qu’il nous projette dans la marmite hollywoodienne, où bouillonnent le mensonge, la trahison et la malveillance.
Michel Moatti s’est inspiré d’épisodes véridiques survenus lors d’un tournage notoirement chaotique, ainsi que des souvenirs de Judith Anderson, glanés notamment dans ses interviews. Pour autant, avertit-il, la narratrice de ce roman, comme son auteur, s’écartent parfois de la stricte réalité pour s’offrir au vertige de la fantaisie et de la fiction. Et, de fait, le vertige d’événements nous cueille, dans un récit gigogne qui emboîte le vrai et le faux, sans que l’on puisse au final différencier l’un de l’autre…
A l’intérieur du studio, le machiavélisme du producteur n’a d’égal que la tyrannie du réalisateur. Les batailles d’ego entre les acteurs rivalisent de coups bas, quand ce ne sont pas les recalés du casting qui déversent fiel et rancœur par médisances ou rumeurs interposées. Dans les loges, des messages haineux sont déposés. Une robe, pourtant ignifugée, s’enflamme. Sur le plateau, des pans de décors s’effondrent, des projecteurs se décrochent, entre autres incidents qui mettent en péril la vie des membres de l’équipe. Qui cherche-t-on à tuer, en arrive à se demander Judith… A l’extérieur du studio, c’est pire. Un tueur en série, que la presse surnomme « le Nocturne », enchaîne les meurtres de starlettes, dont certaines figurantes du film. Il signe chacun de ses forfaits de la lettre R. Tiens donc!…
Rebecca a obtenu l’Oscar du meilleur film en 1941. Sinuant entre scènes de crime et scènes de film, entre envers et enfer du décor, le making of malin et diabolique de Michel Moatti mérite lui aussi des lauriers.
Au début de 1942, après le séisme de Pearl Harbor, l’effort de guerre mobilise le 7éme art. Sous l’égide de la très engagée Bette Davis, l’Hollywood Canteen ouvre ses portes. Le lieu offre nourriture, chants et danses aux militaires en permission. Le billet d’entrée est l’uniforme, et tout est gratuit. Sur scène et aux fourneaux, le gratin des studios. Le moral des troupes vaut bien ça. La légende raconte que Marlène Dietrich y venait chaque soir, pour faire la popote ou la vaisselle, passer un coup de balai ou danser avec un bidasse… Joyce n’était pas une star, juste une professionnelle reconnue dans son job, photographe de plateau. Son corps vient d’être retrouvé dans un coffre de voiture. Quelques heures auparavant, elle est venue prendre des clichés dans la cantine. Il y a un lien, forcément…
Revoici Vicky Mallone, découverte en 2023 dans Hollywood s’en va en guerre. Fille adoptive d’un scénariste réputé (ça aide pour le carnet d’adresses), lesbienne (ça agace dans un milieu corseté par le code Hays), hantée par un fils dont elle a perdu la garde (ça freine dans la joie de vivre), la privée cabocharde de la cité des anges n’a rien perdu de ses addictions : tequila, vodka martini… et aventures amoureuses. Joyce était une de ces dernières conquêtes. Elle venait de confier à son ex-amante son intention de l’embaucher. Pour quelle mission? Vicky est bien décidée à fouiner dans les arrière cuisines de l’Hollywood Canteen. Les gros poissons de l’usine à rêves ne l’effarouchent pas, elle sait tenir tête à Humphrey Bogart et envoyer paître Frank Sinatra…
Olivier Barde-Cabuçon régale les amateurs de hard-boiled autant que les cinéphiles. Quarante-neuf chapitres, chapeautés d’une réplique de film croustillante, déroulent des dialogues cinglants et des péripéties faussement convenues. Derrière les tentatives d’assassinat et de chantage, les exactions autour d’affaires de sexe ou de drogue, se profilent les vrais nuages : l’homophobie, l’antisémitisme, la propagande pronazie et l’industrie frétillante de l’armement…
L’Hollywood Canteen a fermé ses portes le 22 novembre 1945. On estime à au moins trois millions le nombre de convives accueillis.
Et Vicky?… Elle vous dira qu’après la pluie, ça sent tout sauf le propre. Le monde brille comme un sou neuf, mais les taches ne partent pas…
- Michel Moatti, Rebecca, dans l’ombre d’Hollywood, Hervé Chopin Editions, 2025, 238 pages, 19,50 €.
- Olivier Barde-Cabuçon, Hollywood Cantine, Gallimard, 2025, 403 pages, 20,00 €.
- Olivier Barde-Cabuçon Hollywood s’en va en guerre – Disponible en poche chez Folio Policier, 416 pages, 9,00 €
- Daphné Du Maurier, Rebecca – Disponible en poche dans Le Livre de Poche, 640 pages, 10,90 €
