Télétravail : gare aux risques psychosociaux 

Perte du lien avec les collègues, malentendus avec la hiérarchie, reporting envahissant, hyperconnectivité épuisante… C’est le revers de la médaille du distanciel.

Publié le : 16 · 05 · 2025

Temps de lecture : 6 min

Le télétravail peut conduire à en « faire plus » pour prouver son engagement professionnel, y compris en travaillant pendant un arrêt maladie.

PHOTOPQR/L’Alsace/Vanessa Meyer/MaxPPP

Quels sont les risques psychosociaux associés au télétravail ? Pour les évaluer, Louis-Alexandre Erb, de la Dares, a passé en revue la littérature scientifique des vingt dernières années (1). Tout en prévenant qu’il est difficile de « démêler les effets spécifiques du télétravail de ceux liés au contexte exceptionnel de la crise sanitaire », il identifie trois grandes familles de risques : la distanciation des relations sociales ; l’intensification du travail ; la difficile articulation des temps de vie.

Loin des yeux, loin du « cœur »

Le chercheur nous éclaire, dans un premier temps, sur les effets du distanciel, qui « entrave la communication entre les salariés et leur hiérarchie, réduit les échanges et limite le partage d’informations essentielles au bon déroulement des tâches. Les équipes risquent de ne pas avoir une vision complète des attentes ». On peut en éprouver du doute et de l’incertitude. 

S’ajoutent à cela les malentendus et l’allongement des échanges, induits par une communication essentiellement écrite et privée des nuances et émotions qui « lubrifient » les relations humaines de visu.

Le travail à distance, c’est aussi le risque d’une pression accrue liée au reporting, ou encore aux procédés de « rationalisation de l’activité » – définition de tâches précises, suivi de l’activité, vérification, surveillance… Enfin, à plus long terme, souligne l’auteur de la note, le télétravail « n’est pas sans risque pour la carrière. Les opportunités de formation, d’avancement et même l’accès à des primes peuvent être limités en raison de cette séparation » physique.

Collectif éclaté et isolement

Le « travail hybride » – c’est-à-dire l’alternance présentiel-distanciel – complique la planification individuelle et collective des tâches et requiert une anticipation accrue, pas toujours compatible avec les imprévus. Il peut également complexifier, voire rigidifier les interactions et les réunions, accroître les tensions et problèmes de communication entre celles et ceux qui travaillent à distance et sur site. 

Les interactions informelles dans l’entreprise, rappelle Louis-Alexandre Erb, « jouent un rôle important dans la cohésion d’équipe, favorisant la convivialité, l’échange d’idées ». Leur absence « conduit à un manque de liens sociaux et dégrade le sentiment de bien-être ». Sans compter que la « solitude prolongée entraîne un sentiment de déconnexion sociale, une réduction des occasions de socialisation » et, au final, «une diminution du bien-être émotionnel »

Enfin, du point de vue syndical, le télétravail n’est pas sans conséquences. Les rares études qui s’y sont intéressées notent qu’il ne réduit pas vraiment l’implication, mais qu’il affaiblit le lien entre les élus et l’ensemble des salariés, la compréhension de leur vécu, le relais de leur expression dans les instances de représentation du personnel.

Un étirement du travail dans la semaine

Dans un deuxième temps, la synthèse de la Dares s’intéresse aux conséquences du distanciel sur l’intensité du travail. Dans les études, la majorité des individus interrogés louent l’opportunité d’une meilleure concentration, sans interruption, couplée à une plus grande autonomie d’organisation. Ils n’évoquent pas précisément l’intensification de leur travail. Mais dans les faits, plusieurs facteurs de risque de surcharge professionnelle existent, à commencer par laugmentation du temps de travail. 

Selon certaines études, les journées débutent plus tôt ou se terminent plus tard grâce à l’économie des temps de trajet ; d’autres jugent que c’est sans effet. Les télétravailleurs ont tendance à rogner sur leurs pauses-déjeuner. La synthèse évoque aussi un phénomène propre au travail à distance, qui consiste à en faire plus pour prouver son engagement professionnel (mécanisme de redevabilité), y compris en travaillant pendant un arrêt maladie. 

Cela contribue à l’élargissement de l’amplitude horaire et, en conséquence, à la confusion des sphères privées et professionnelles. Ce risque est renforcé par le recours à des horaires décalés pour s’adapter à l’environnement domestique : attendre les moments calmes et/ou mieux gérer ses contraintes domestiques. « Travailler tôt le matin ou tard le soir devient alors une stratégie organisationnelle », résume l’étude, qui évoque aussi la propension au travail le week-end.

Hyperconnectivité et brouillage des frontières

L’abus des outils numériques de communication peut dériver en une hyperconnectivité qui efface la frontière entre sphères privée et professionnelle, et empêche le nécessaire repos physique et mental. Cette hyperconnectivité confronte les salariés à un flux continu de messages et d’informations diverses qu’il devient ardu de gérer et de hiérarchiser. Les télétravailleurs sont alors en situation de subir de la « télépression », en se sentant obligé de « répondre rapidement aux sollicitations » ce qui engendre « des sentiments négatifs tels que l’insatisfaction et l’irritabilité ». 

Entre l’élargissement des amplitudes horaires et l’hyperconnectivité, l’interpénétration des sphères domestique et professionnelle pose un défi majeur aux télétravailleurs. Même si, là encore, il n’est question que de risque et non d’une réalité vécue par tous et toutes, la Dares indique que « la fragmentation des horaires perturbe le rythme naturel de la journée, disperse l’attention et rend difficile la planification des activités personnelles en dehors du travail », ce qui peut attiser tensions et conflits dans les foyers.

Réassignation des femmes aux tâches ménagères

Inversement, les tâches ménagères et familiales peuvent empiéter sur la sphère professionnelle. Et de ce point de vue, insiste Louis-Alexandre Erb, les hommes et les femmes – notamment les mères – ne sont pas égaux. Ces dernières se retrouvent « plus souvent confrontées à des conflits entre vie professionnelle et familiale, consacrant plus de temps au travail en dehors des horaires habituels »

L’auteur note aussi que la flexibilité s’amenuise lorsque les responsabilités familiales sont plus fortes, avec des enfants en bas âge ou des personnes dépendantes à charge. Au final, « cumulant travail rémunéré et travail domestique, les télétravailleuses effectuent plus d’heures de travail que les hommes ». Et de conclure : « la réassignation des femmes aux tâches domestiques constitue un risque majeur dans le cadre du télétravail ». On peut « souhaiter télétravailler pour mieux gérer le travail domestique et, au final, se retrouver dans une situation où il s’impose d’avantage ».

Marion Esquerré

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