Comment Béatrice Helg photographie l’espace du dedans 

Le musée Réattu, à Arles, expose plus de 70 œuvres de cette artiste suisse, qui met en scène, dans son studio, ses « géométries du silence » en grand format.

Publié le : 12 · 09 · 2025

Temps de lecture : 4 min

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Esprit froissé VII (2000), cibachrome 150 × 102 cm.

Béatrice Helg

Si l’art photographique semble voué, depuis son origine, à la reproduction immédiate du réel, il a pu, lors de son expansion au XXe siècle, accéder à des zones éloignées du réalisme narratif. N’est-ce pas, par exemple, le cas de Man Ray (1890-1976) ? Grâce à ses « aérographes », suivis de ses « rayographes », il mit à jour la vie étrange des objets et sut parfois, en quelque sorte, photographier l’inconscient.

Béatrice Helg, pour sa part, dans son studio comme dans l’atelier d’un peintre, s’est inventée, depuis 1980, une écriture photographique spécifique, où elle mêle l’espace, la lumière et la matière. Inspirée par le constructivisme russe des années 1920, musicienne accomplie, férue d’architecture et sensible à la mise en scène de théâtre et d’opéra, elle compose des installations, à partir de matériaux de récupération et de diverses matières, qu’elle organise à dessein pour la prise de vue. La lumière constitue l’élément primordial des œuvres ainsi conçues. 

« La photographie me permet d’explorer l’invisible »

Béatrice Helg définit sa pratique en ces termes : « La photographie est une écriture de lumière, de l’obscur et de la lumière dans l’espace. Elle me permet d’explorer l’invisible, l’insoupçonné, l’espace du dedans. » Il s’agit d’« une autre manière d’appréhender, de questionner le réel, la vie, le monde. […] Cette écriture s’est imposée à moi. Elle me donne la possibilité d’exprimer des sentiments, de transmettre des sensations, des pensées que je ne saurais évoquer par une photographie de la réalité, ou par des mots… »

« Géométries du silence » constitue, à ce jour, la plus vaste monographie consacrée à cette artiste. Ce sont 75 tirages uniques, pour la plupart de grand format, réalisés au cours des trente-cinq dernières années. Ils sont répartis dans divers espaces de l’ancien prieuré de l’ordre de Malte, devenu musée Réattu. Il s’agit d’œuvres d’ores et déjà emblématiques et de créations inédites, issues de séries aux titres éloquents : Théâtres de la lumière, Esprit froissé, Crépuscule, Cosmos, Résonance, Natura.

Susciter des émotions dans l’ordre de la pensée

Née en 1956 à Genève, Béatrice Helg, d’abord violoncelliste, a étudié la photographie au sein de grandes institutions artistiques, en Californie puis à New York. Elle a, à son actif, plus de 70 expositions personnelles en Europe, aux États-Unis, au Japon. Ses œuvres sont présentes dans maintes collections renommées, publiques ou privées, dans lesquelles s’impose la poésie matérielle de son art minimaliste, où une certaine abstraction a le pouvoir de susciter des émotions dans l’ordre de la pensée. 

Dans le catalogue publié pour l’occasion (en anglais et français, 24 × 30,5 cm, 168 pages, 80 illustrations, 30 euros), on est à même de mieux apprécier, grâce à des citations de maîtres contemporains, la teneur de ce travail singulier.

« La lumière dépend de tout mais tout dépend d’elle »

Du peintre américain Mark Rothko (1903-1970), on peut lire ceci : « Sentir la beauté, c’est participer à l’abstraction à travers un agent particulier. En un sens, c’est un reflet de l’infini de la réalité. » De son côté, le metteur en scène de théâtre Claude Régy a pu écrire à Béatrice Helg, qu’il admirait : « La lumière dépend de tout mais tout dépend d’elle. » 

Robert Wilson grand artiste s’il en fût, mort le 31 juillet 2025, n’affirmait-il pas que « sans lumière, l’espace ne peut se déployer et le temps ne peut pas advenir dans sa plénitude » ? L’art de Béatrice Helg s’inscrit, sans conteste, dans cette exigeante perspective.

  • Jusqu’au 5 octobre au musée Réattu, 10 rue du Grand-Prieuré, à Arles (Bouches-du-Rhône).

Photo : Béatrice Helg, Équilibre V (2001), cibachrome, 90 × 87,5 cm.

Jean-Pierre Léonardini

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